Vers une plus grande effectivité des droits de préemption dans les pactes d’actionnaires ?
En droit français, il est traditionnellement admis que la violation d’un droit de préférence ou de préemption, aux termes duquel le détenteur d’un bien s’engage dans le cas où il déciderait de le vendre, de le céder en priorité au bénéfice d’une personne désignée, ne peut être sanctionnée que par l’octroi de dommages intérêts par le promettant voire par l’annulation de la cession si le tiers cessionnaire est de mauvaise foi. Pour que cette dernière sanction soit mise en ?uvre, la mauvaise foi implique toutefois la connaissance qu’avait le tiers de l’existence d’une telle clause, d’une part et de l’intention du bénéficiaire de ce droit de s’en prévaloir, d’autre part.
Dans le cadre de la mise en place de pactes d’actionnaires entre deux ou plusieurs partenaires, les clauses de préférence sont devenues très usuelles, dans la mesure où elles visent à assurer une stabilité dans l’évolution du capital de la société commune.
En pratique, la rédaction de ces clauses est souvent minutieuse, notamment lorsqu’il s’agit de définir les conditions d’exercice du droit de préemption. Toutefois, malgré les précautions prises par les rédacteurs, l’effectivité de ces clauses bute généralement sur les conséquences résultant de la violation de ce droit. L’octroi de dommages intérêts s’avère en effet être un remède plutôt inefficace dans ce cadre, dans la mesure où l’objet même de ces clauses (au même titre que le droit d’agrément statutaire) est d’éviter qu’un partenaire ne subisse l’entrée au capital d’un nouvel actionnaire indésirable. Par ailleurs, l’annulation du transfert conclu au mépris du droit de préférence ne peut qu’aboutir à une situation de conflit entre le cédant qui voit son projet invalidé et le bénéficiaire du pacte, qui n’est pas pour autant devenu propriétaire des titres en question.
Dans un arrêt rendu en Chambre Mixte le 26 mai 2006, la Cour de Cassation a semblé vouloir amorcer une évolution dans le sens d’une plus grande effectivité des droits de préemption. Cet arrêt ne concernait pas une cession de titres mais la vente d’un bien immobilier ayant fait l’objet d’une donation-partage ; en l’espèce, l’ayant cause du donataire du bien n’avait pas respecté le droit de préférence des autres attributaires et avait vendu son bien à une SCI. Dans un attendu de principe, la Cour de Cassation indique que dès lors que le tiers cessionnaire du bien a connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, le bénéficiaire du pacte est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec le tiers et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur.
C’est cette faculté de substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers qui fait figure de nouveauté majeure et qui donne son véritable sens à l’annulation de la cession réalisée en violation du droit de préemption. Reste à savoir dans quelle mesure une telle solution pourra s’appliquer dans le cas où le pacte d’actionnaires prévoit un mécanisme de fixation du prix des titres (par exemple, par recours à l’expertise) à défaut d’accord sur le prix proposé par le tiers.
La réforme attendue du droit des obligations sera peut-être amenée à conforter voire consacrer cette solution dans les différents contextes où ces clauses sont appelées à jouer (cessions de titres, ventes immobilières, donation-partage).