Les « cartels », tels que décrits ci-après, sont des pratiques de concertation entre entreprises concurrentes ? donc dans un rapport dit « horizontal » ? visant à générer une hausse de prix ou à empêcher leur diminution, à se répartir des marchés ou des clients, à maintenir les parts de marché des participants à un certain niveau ou à défendre un marché contre un nouvel entrant ou une entreprise commercialement agressive. Dans la mesure où de telles pratiques ont un effet ou un objet restrictif de concurrence elles sont susceptibles d’être interdites et sanctionnées en application de l’article L.420-1 du code de commerce. Il s’agit de l’une des infractions au droit de la concurrence considérées comme les plus graves. D’ailleurs, le fait que certaines des entreprises participant au cartel n’aient pas véritablement mis en œuvre les décisions du cartel n’empêche pas, en principe, la caractérisation de l’infraction, dès lors que l’objet anti-concurrentiel est avéré[Voir par exemple la décision n°03-D-36 du 29 juillet 2003]. Les cartels font l’objet d’une activité intense des autorités de la concurrence, tant au niveau national qu’au niveau communautaire. L’efficacité des autorités de la concurrence s’est trouvée renforcée par la mise en place de systèmes de dénonciation des cartels par les entreprises qui y ont participé, en contrepartie de la réduction ou de l’élimination des amendes encourues (programme dit « de clémence »). On constate également un nombre important et récurrent d’affaires de cartels dans le cadre de marchés publics. Ce dernier type d’affaires est traité plus spécifiquement dans le chapitre du présent ouvrage consacré aux ententes dans le cadre de marchés publics.
Existence de l’entente
Parallélisme de comportements et faisceau d’indices. Entrent dans le champ de l’article L.420-1 du code de commerce « les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions ». La plupart des pratiques de cartel étant manifestement illégales, elles sont généralement tenues secrètes et font rarement l’objet d’accords écrits. La question de la preuve de leur existence, de leur durée et de leur portée est donc souvent déterminante dans ce type d’affaires. Cette preuve est rapportée sur la base d’un « faisceau d’indices » tendant à montrer l’existence de la collusion entre les membres du cartel. Le principe général souvent énoncé est le suivant : « si la constatation d’un parallélisme de comportements ne suffit pas, à elle seule, à démontrer l’existence d’une entente anti-concurrentielle, une telle attitude pouvant résulter de décisions prises par des entreprises qui s’adaptent de façon autonome au contexte du marché, l’existence d’une telle entente peut être établie dès lors que des éléments autres que la constatation du seul parallélisme du comportement s’ajoutent à celui-ci pour constituer avec lui un faisceau d’indices graves, précis et concordants »[ Voir notamment : décision n°00-D-39 du 24 janvier 2001]. Il s’agit donc d’une analyse factuelle effectuée au cas par cas.
Preuves matérielles. Les éléments matériels retenus dans le cadre du faisceau d’indices peuvent être de toute nature : tableaux de prix, notes manuscrites, agendas, billets de transport, etc. L’un des principes particulièrement importants en la matière est celui selon lequel « un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l’a été, est opposable à l’entreprise qui l’a rédigé et à celles qui y sont mentionnées, et peut être utilisé comme preuve, ou pour le rapprochement avec d’autres indices graves, précis et concordants, comme élément de preuve d’une concertation ou d’un échange d’informations entre concurrents »[ Décision n°03-D-12 du 3 mars 2003, confirmée pour l’essentiel par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 25 novembre 2003; pourvoi rejeté par la Cour de cassation, arrêt du 22 février 2005]. Il suffit donc en principe que l’une des entreprises concernées conserve des documents probants sur l’existence et le fonctionnement du cartel pour que tous les participants du cartel qui y sont identifiés soient en risque de condamnation. On relèvera néanmoins que, dans une décision très récente, il a pu être considéré qu’en dépit du fait que certaines entreprises étaient mentionnées dans des documents saisis, leur participation à l’entente n’était pas suffisamment démontrée [Décision n°09-D-03 du 21 janvier 2009]. Une appréciation in concreto peut donc conduire à nuancer le principe évoqué ci-dessus. Par ailleurs, le fait qu’un document relate unilatéralement de l’existence d’un accord peut suffire à démontrer l’entente (par exemple une note d’un participant à des réunions relatant le fait que les entreprises étaient arrivées à un accord)[ Décision n°07-D-48 du 18 décembre 2007]. Enfin, les « cadres dirigeants » qui participent aux discussions sont réputés représenter ou engager les entreprises qui les emploient lorsqu’ils agissent dans le cadre de leurs activités professionnelles, conformément au droit commun [Décision n°06-D-30 du 18 octobre 2006].
Adhésion au cartel. L’autorité de la concurrence a volontairement adopté une pratique différente de celle des autorités communautaires quant à l’exigence du degré de participation à l’entente. Dans une décision de 2004, il a ainsi été précisé : « en droit communautaire, la seule participation même passive d’une entreprise à une réunion dont l’objet est anti-concurrentiel suffit à établir sa participation à l’entente, sauf si cette entreprise démontre qu’elle n’a pas souscrit aux pratiques anti-concurrentielles décidées lors de la dite réunion en s’en distanciant publiquement (Cour de Justice des communautés européennes, 16 novembre 2000 Sarrio SA C- 291/98). Le Conseil de la concurrence et la Cour d’appel de Paris exigent cependant que le concours de volontés nécessaire à l’incrimination d’une entreprise pour entente se soit manifesté par une adhésion plus explicite à l’action collective décidée lors de ladite réunion, soit par la participation ultérieure à d’autres réunions ayant le même objet anti-concurrentiel, soit par l’application concrète des mesures décidées lors de cette réunion »[ Décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004]. Dans plusieurs décisions de 2006, il a été précisé que ce principe était applicable dès lors que la concertation était mise en œuvre dans le cadre d’une association professionnelle, « la solution pouvant être différente pour les réunions occultes ou secrètes entre concurrents »[ Décision n°06-D-03bis du 9 mars 2006]. Dans le premier cas, deux hypothèses peuvent être distinguées, dans le cadre desquelles un accord de volonté peut être démontré : (1) si l’entreprise n’a participé qu’à une seule réunion ayant un objet anti-concurrentiel il faut établir qu’elle a adhéré à cet objet, notamment par la diffusion des consignes adoptées ou encore par l’application des mesures décidées au cours de cette réunion, (2) si l’entreprise a participé à plusieurs réunions ayant le même objet anti-concurrentiel l’accord de volonté peut être présumé. En outre, « l’assiduité plus ou moins grande de l’entreprise aux réunions, la mise en œuvre plus ou moins complète des mesures convenues et l’effet anti-concurrentiel des décisions ne seront prises en compte que pour apprécier le niveau de la sanction ». En revanche, lorsque l’entente est secrète, l’entreprise impliquée ne peut s’exonérer qu’en démontrant qu’elle a refusé de participer aux discussions ou, si sa bonne foi a été surprise lors d’une prise de contact, qu’elle s’est « distanciée sans délai et publiquement du mécanisme anticoncurrentiel dont la réunion est le support »[ Décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008]. Cette différenciation volontaire entre droit français et droit communautaire, selon que l’on est en présence d’une entente « secrète » ou d’une concertation mise en œuvre dans le cadre d’une association professionnelle, semble désormais établie[Décision n°06-D-09 du 11 avril 2006, Décision n°06-D-37 du 7 décembre 2006, Décision n°07-D-48 du 18 décembre 2007, Décision n° 08-D-12 du 21 mai 2008]. Le caractère « secret » ou non de la concertation est apprécié in concreto, au cas par cas [Décision n°08-D-32 du 16 décembre 2008]
Cartel des produits en béton préfabriqués. Une décision rendue en 2001 a sanctionné 15 sociétés pour avoir participé à plusieurs ententes de prix et de répartition de marchés concernant des produits en béton préfabriqués [Décision n°00-D-39 du 24 janvier 2001, confirmée au fond par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 13 décembre 2001, (qui a toutefois réduit certaines amendes)]. Au cours de plusieurs réunions, des fabricants localisés dans plusieurs zones géographiques différentes s’étaient entendus pour décider de hausses de prix importantes (de l’ordre de 30-40%). En outre, les négociants s’étaient eux-mêmes réunis avec les fabricants ou entre eux pour décider d’une position commune à adopter face à la hausse des fabricants. La décision a pour l’essentiel relevé la concomitance des annonces de prix par les fabricants et négociants et la mise en œuvre de prix très similaires alors que les conditions tarifaires étaient relativement hétérogènes auparavant. En outre, il était démontré que les entreprises concernées s’étaient réunies plusieurs fois, sous l’égide d’associations professionnelles mais aussi lors de réunions plus informelles. Pour certaines des entreprises auxquelles des griefs avaient été notifiés, il n’existait pas de preuves suffisantes de l’existence d’une concertation. Ainsi, les dires de témoins qui n’identifiaient pas précisément les participants à une réunion n’ont pas été considérés comme probants. De même, en ce qui concerne certaines entreprises, il n’était pas démontré que les réunions auxquelles elles avaient participé avaient eu un objet anti-concurrentiel et les hausses de prix qu’elles avaient pratiquées pouvaient s’expliquer par le fait que ces entreprises avaient aligné leurs prix sur ceux de leurs concurrents a posteriori.
Cartel des répartiteurs pharmaceutiques. Une décision rendue en 2001 a sanctionné trois grossistes-répartiteurs pharmaceutiques qui s’étaient concertés pour geler leurs parts de marché dans le nord de la France, puis sur tout le territoire national [Décision n°01-D-07 du 11 avril 2001]. L’existence de l’entente a été retenue sur la base de documents relativement explicites, des déclarations d’un dirigeant de l’un des participants et de l’analyse du comportement des entreprises sur le marché (refus de livrer, comportement commercial peu agressif). Les répartiteurs expliquaient cette concertation par la nécessité de veiller au respect de la réglementation pharmaceutique interdisant les remises trop agressives. Cette argumentation n’a pas été acceptée : les entreprises qui s’estiment victimes de concurrence déloyale doivent recourir aux voies de droit disponibles et non se concerter ; le respect de la réglementation concernée ne supposait en tout état de cause pas une répartition de marchés. Par ailleurs, il a été considéré dans cette même décision que certains répartiteurs s’étaient concertés pour empêcher la progression ou l’entrée sur le marché de certains concurrents, là encore sur la base de documents explicites et de l’analyse des effets de la pratique sur le marché. La Cour d’appel de Paris a partiellement réformé cette décision, considérant que la concertation concernant la répartition de l’un des marchés géographiques concernés n’était pas suffisamment caractérisée : le Conseil de la concurrence ne s’était fondé que sur les déclarations de 5 pharmaciens victimes de refus de livraison, alors qu’il était démontré que ces refus de livraison pouvaient être justifiés par la mauvaise santé financière de ces derniers[Arrêt de la Cour d’appel de Paris, 22 janvier 2002].
Cartel des roulements à billes. Dans une décision rendue en 2002, ont été sanctionnés 6 fabricants de roulements à bille, qui avaient échangé des informations tarifaires et s’étaient concertés pour générer des hausses de prix et plafonner leurs taux de remises[Décision n°02-D-57 du 19 septembre 2002]. Constatant l’existence de hausses de prix similaires et annoncées à des dates voisines par les fabricants à l’égard de leurs distributeurs, la décision se fonde essentiellement sur les déclarations de deux employés de l’une des sociétés, un compte-rendu détaillé d’une réunion entre concurrents et un document montrant que l’une des entreprises connaissait les dates et montants précis des augmentations de prix qui seraient pratiquées par ses concurrents plusieurs mois plus tard. Il était ainsi démontré que le parallélisme des comportements avait été précédé de contacts directs entre les entreprises concernées. De façon notable, il a également été considéré que certaines entreprises s’étaient concertées sur une hausse de tarifs à pratiquer à l’égard de clients industriels, sur la base d’un seul compte-rendu d’une réunion relatant de façon explicite ladite concertation ? même si aucun effet n’avait été constaté sur le marché. La Cour d’appel de Paris a partiellement infirmé cette décision, jugeant notamment que l’effet de certaines pratiques d’échanges d’informations n’était pas démontré pour certaines années, mais l’a maintenue pour l’essentiel ? et en particulier en ce qui concerne la démonstration de l’entente concernant les clients industriels sur la base d’un seul document [Cour d’appel de Paris, arrêt du 17 juin 2003].
Cartel des escaliers préfabriqués en béton. Une décision rendue en 2003 a sanctionné neuf entreprises pour leur participation à un cartel de prix et de répartition de marchés [Décision n°03-D-12 du 3 mars 2003, confirmée pour l’essentiel par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 25 novembre 2003; pourvoi rejeté par la Cour de cassation, arrêt du 22 février 2005]. Cette affaire constitue en quelque sorte un cas d’école en matière de preuves de l’existence et du fonctionnement du cartel (qualifié de « club » par les entreprises participantes). L’enquête a été déclenchée par une dénonciation très explicite et détaillée d’un ancien dirigeant d’une des entreprises, dont les déclarations ont été corroborées par des grilles tarifaires précises et identiques trouvées chez plusieurs concurrents, des dates de rendez-vous entre dirigeants inscrites sur des agendas, des télécopies entre concurrents, des documents annotés saisis chez les entreprises concernées, une déclaration d’un ancien salarié et des déclarations de clients. La décision contient également quelques développements intéressants sur la durée de l’infraction, se fondant sur les dates des premiers et derniers documents saisis. En effet, la durée de l’infraction est un facteur pris en compte pour la détermination du montant des amendes, même si ce critère n’est pas appliqué avec autant de précision qu’en droit communautaire.
Affaire des calculatrices scolaires. Dans une décision rendue en 2004, ont été sanctionnés un fabricant et un importateur de calculatrices à usage scolaire qui s’étaient échangé certaines informations [Décision n°03-D-45 du 17 décembre 2003, confirmée par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 21 septembre 2004]. L’enquête avait révélé l’existence d’une note adressée par l’une des entreprises à son concurrent, faisant état du prix de quatre références, d’une baisse de prix sur un produit et d’informations sur la date de commercialisation d’un nouveau produit. En outre, cette note laissait entendre qu’elle s’inscrivait dans le cadre d’une concertation plus large, concernant la commercialisation de nouveaux produits. Il est frappant de constater à quel point le niveau de preuve documentaire retenu dans cette affaire est peu élevé, dès lors que les deux entreprises concernées représentaient ensemble 89% du marché concerné, qu’elles s’étaient par ailleurs entendues avec leurs distributeurs (restreignant ainsi la concurrence intra-marque) et qu’une hausse de prix était constatée sur le marché concerné.
Cartel de l’eau de javel. Dans une décision rendue en 2005, ont été sanctionnées quatre entreprises qui s’étaient entendues sur un prix plancher, à la hausse, pour la commercialisation d’eau de javel aux collectivités[Décision n°05-D-03 du 10 février 2005]. Les dirigeants de trois des entreprises avaient reconnu les faits, l’existence de plusieurs réunions entre concurrents était attestée par le contenu des agendas et l’existence du tarif commun était démontrée par plusieurs documents saisis chez les entreprises, dont un compte-rendu de réunion relativement explicite. L’intérêt de cette décision réside surtout dans les développements consacrés à l’une des entreprises, qui prétendait ne pas avoir participé à l’entente. Le Conseil de la concurrence s’est éloigné, dans cette décision, du principe de droit communautaire selon lequel la participation passive d’une entreprise à une réunion dont l’objet est anti-concurrentiel suffit à établir sa participation à l’entente sauf si l’entreprise démontre qu’elle s’est distancée publiquement des discussions anticoncurrentielles concernées : « le Conseil et la Cour d’appel de Paris exigent que le concours de volontés nécessaire à l’incrimination d’une entreprise pour entente se soit manifesté par une adhésion plus explicite à l’action collective décidée lors de ladite réunion, soit par la participation ultérieure à d’autres réunions ayant le même objet anti-concurrentiel, soit par l’application concrète des mesures décidées lors de cette réunion ». En l’espèce il a été considéré que l’entreprise concernée ne s’était pas contentée de rester passive, mais avait effectivement mis en œuvre les décisions du cartel.
Affaire des produits sanitaires, de chauffage et de climatisation. Dans une des décisions les plus longues rendues en 2006, ont été sanctionnées plusieurs fabricants et distributeurs de produits sanitaires, de chauffage et de climatisation et leurs associations professionnelles, pour des pratiques de cartel[Décision n°06-D-03bis du 9 mars 2006]. Cette décision contient des considérants de principe importants cités précédemment, qui posent des exigences plus fortes quant au degré de participation à l’entente que les principes applicables en droit communautaire. Pour vérifier le bien-fondé des griefs d’entente notifiés, le Conseil de la concurrence a analysé les comptes-rendus de réunion et les déclarations des participants lors de l’enquête pour établir si les réunions qui s’étaient tenues entre distributeurs concurrents avaient eu un objet anticoncurrentiel. Il a ensuite vérifié quelles sociétés y avaient participé et constaté que celles-ci ne s’étaient pas distancées publiquement des propos qui y étaient tenus. Ayant constaté que deux sociétés n’avaient participé qu’à une seule des réunions concernées, il a vérifié si elles avaient mis en œuvre certaines des décisions du cartel. Ayant constaté que tel était le cas, le Conseil a considéré que l’entente était caractérisée pour ces sociétés, comme pour celles qui avaient participé à plusieurs réunions dont l’objet était anti-concurrentiel.
Affaire du « tour de lait ». Dans une décision de 2007, le Conseil de la concurrence a eu à connaître d’une pratique de certains fabricants de lait pour nourrissons, consistant à fournir aux maternités des biberons prêts à l’emploi pour un prix modique, ainsi que des subventions financières[Décision n°07-D-42 du 30 novembre 2007]. Le Ministre de l’Economie l’avait saisi parce que le prix de vente des biberons aux maternités était strictement identique pour tous les fournisseurs. Le Conseil a toutefois considéré que l’identité des prix s’expliquait naturellement et autrement que par une entente : la réglementation interdisait aux fabricants d’offrir les biberons et l’administration (DGCCRF) elle-même avait indiqué un seuil au-dessous duquel les fabricants ne pouvaient pas vendre. Ces derniers ayant un intérêt évident à ce que les maternités retiennent leurs biberons, étant donné l’effet de captation de clientèle que cela pouvait avoir en sortie de maternité, il ne pouvaient que vendre au prix plancher ? identique pour tous ? fixé par l’administration.
Cartel des déménageurs. Cette affaire de 2007 est une bonne illustration des effets combinés du programme de clémence et du mécanisme de non contestation des griefs[Décision n°07-D-48 du 18 décembre 2007]. Trois entreprises de déménagement avaient dénoncé l’existence d’une entente de prix et de devis de couverture depuis plusieurs années. Le Conseil de la concurrence s’est donc saisi d’office, après avoir accordé l’immunité conditionnelle aux candidats à la clémence, puis a saisi le Ministre de l’Economie d’une demande d’enquête. Les enquêteurs, procédant à une investigation sur place sur autorisation judiciaire, ont saisi suffisamment de pièces incriminantes pour pousser plusieurs des participants à l’entente à demander le bénéfice du mécanisme de non contestation des griefs, avec des engagements consistant à mettre en place un programme interne de respect du droit de la concurrence (« compliance program »). Les entreprises qui avaient dénoncé l’entente n’ont donc pas été sanctionnées et celles n’ayant pas contesté les griefs ont bénéficié d’une réduction d’amende de 10%. Les autres, qui avaient décidé de se défendre, pouvaient plus difficilement contester l’existence de l’entente et leur argumentation portait donc surtout sur le degré de leur participation. A cet égard, appliquant les principes évoqués plus haut, le Conseil a considéré qu’il s’agissait d’une entente secrète et que le participation à l’entente était donc démontrée lorsque l’entreprise, ayant participé ou non à une réunion donnée, avait adhéré à l’entente par la preuve de son accord général à l’entente de prix, avait diffusé les consignes arrêtées ou appliqué les mesures décidées ou encore lorsque elle avait participé à une réunion ultérieure ayant le même objet anti-concurrentiel.
Cartel du contreplaqué. Cette affaire de 2008, déclenchée par une demande de clémence, concernait une entente horizontale de producteurs de contreplaqué visant à pratiquer des hausses de prix, organisée dans le cadre d’une association professionnelle [Décision n° 08-D-12 du 21 mai 2008]. Le standard de preuve appliqué pour la détermination de l’existence d’un accord sur le prix étant conforme aux décisions précédemment citées, on retiendra surtout les développements consacrés dans cette décision à l’argumentation de l’une des parties, selon laquelle les hausses pratiquées ne constituaient qu’une répercussion technique et inéluctable de hausses de coûts uniformes pour tous les producteurs concernés. La décision énonce tout d’abord que, « quand bien même la hausse des coûts subis par chacun des acteurs serait strictement identique, sa répercussion éventuelle sur les prix de vente doit, pour ne pas enfreindre le droit de la concurrence, faire l’objet de décisions prises de façon autonome par les entreprises. Rien ne saurait justifier une concertation pour imposer aux clients, au même moment, les mêmes niveaux de hausses de tarifs ». Par ailleurs, il y est considéré que l’identité des coûts en tant que facteur d’explication des hausses de prix ne pourrait se vérifier que dans l’hypothèse d’une parfaite symétrie des opérateurs en terme de structure des coûts, de parts de marché, de types de clientèle et d’élasticité de la demande à laquelle ils répondent. En l’espèce, les hausses de prix étaient, selon la décision, en tout état de cause sensiblement supérieures aux hausses de coûts. S’agissant d’un autre argument invoqué en défense, selon lequel l’entente n’aurait pas été mise en œuvre de façon effective, la décision rappelle tout d’abord qu’une telle circonstance ne serait pas de nature à soustraire l’entente à son interdiction, mais seulement à réduire le montant des sanctions financières imposées. En l’espèce il a été considéré que certaines différences dans les tarifs finalement pratiqués et les dates des hausses pratiquées par les opérateurs impliqués s’expliquaient par le pouvoir de négociation des clients. Enfin, l’absence de mécanisme coercitif pour faire respecter les hausses décidées en commun n’a pas été considérée comme une circonstance atténuante.
Cartel du négoce de produits sidérurgiques. Cette affaire de 2008 concerne une entente entre négociants en produits sidérurgiques, sanctionnée au terme d’une enquête qui a reposé à la fois sur des documents saisis et sur les éléments fournis postérieurement par l’une des entreprises dans le cadre du programme de clémence [Décision n°08-D-32 du 16 décembre 2008]. L’entente, qualifiée de « complexe et continue », portait sur le marché français du négoce de produits sidérurgiques et consistait en une concertation sur des barèmes et autres conditions tarifaires, sur les clients, sur les parts de marché et en un échange régulier d’informations stratégiques. La décision rappelle la distinction désormais établie entre les ententes « secrètes » et celles organisées sous l’égide d’une association professionnelle. En l’espèce, alors même que les réunions de concertation se tenaient sous l’égide d’un syndicat professionnel, il a été considéré qu’il s’agissait d’une entente secrète. En particulier, selon la décision, les réunions n’étaient pas prévues par les statuts et l’association n’avait servi que de prétexte et de support logistique à l’entente. De ce fait, seule une distanciation publique pouvait exonérer les entreprises de leur responsabilité, une fois leur participation à des réunions de concertation démontrée. Pour le reste, on relèvera en particulier trois principes mentionnés dans la décision. D’une part, en présence d’une pratique complexe, une entreprise qui connaissait ou devait connaître le caractère global de la concertation peut être sanctionnée pour sa participation, même si elle n’a pas directement pris part à l’intégralité de ses éléments constitutifs. D’autre part, l’existence de pressions visant à contraindre certaines entreprises à participer peut avoir une incidence sur les sanctions, mais non sur la qualification des pratiques, à moins que ne soit apportée la preuve que lesdites pressions avaient revêtu un caractère irrésistible. Enfin, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls devant être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble.
Cartel des agences d’intérim. Dans cette affaire de 2009, plusieurs prestataires de services d’intérim ont été sanctionnés pour des pratiques d’échanges d’informations et de concertation sur divers éléments tarifaires et de comportement commercial à l’égard de certains grands comptes [Décision n°09-D-05 du 2 février 2009]. Deux des entreprises participantes n’ont pas contesté les griefs et ont soumis des engagements pour l’avenir qualifiés « d’envergure », leur faisant bénéficier d’un montant de réduction d’amende substantiel. La troisième entreprise, Manpower, n’a pas contesté les griefs. Il a donc été procédé, dans la décision, à une analyse des éléments démontrant sa participation à l’entente. La décision énonce les principes habituels relatifs au faisceau d’indices retenu pour étayer cette démonstration. Puis elle retient des éléments très variés composant ce faisceau : une pièce saisie chez un concurrent montrant que ce dernier était informé de l’approche à venir d’un client par Manpower pour discuter d’une hausse tarifaire ; une pièce saisie chez un concurrent faisant de l’existence d’un contact avec Manpower ; plusieurs pièces saisies chez des concurrents relatant de discussions et de concertations impliquant Manpower et concernant les offres tarifaire à certains clients donnés ; la possession, par le directeur commercial de Manpower, des numéros de téléphone portable de la plupart des responsables au sein d’un de ses concurrents ; deux pièces saisies chez Manpower faisant état de discussions et de concertations concernant trois clients importants.
Types d’ententes
Echanges d’informations. L’échange d’informations sensibles (concernant en particulier la politique tarifaire de l’entreprise) entre concurrents est sanctionné s’il sert de support à une autre pratique anti-concurrentielle, telle qu’une entente de prix [Voir notamment la décision n°02-D-57 du 19 septembre 2002, confirmée sur ce point par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 17 juin 2003]. La question se pose de savoir si le seul échange d’informations stratégiques entre concurrents peut également être sanctionné par l’article L.420-1 du code de commerce, dans la mesure où il est de nature à influencer le comportement concurrentiel des entreprises concernées [En droit communautaire, la réponse à cette question est positive, lorsque certaines conditions sont remplies ? concernant essentiellement la nature et la fréquence des informations échangées et les caractéristiques du marché concerné. Voir, par exemple, l’arrêt de la CJCE du 12 juillet 2001, dans les affaires jointes T-202/98, T-204/98 et T-207/98]. Tel semblait être le cas, dès lors que l’échange accroît artificiellement la transparence du marché ? situation aux effets renforcés sur des marchés oligopolistiques [Décision n°03-D-17 du 31 mars 2003, (décision annulée par un arrêt de la Cour d’appel de paris, 9 décembre 2003) ; Décision 03-D-45 du 25 septembre 2003]. Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en 2003 est toutefois venu jeter un doute sur cette question [Cour d’appel de paris, arrêt du 9 décembre 2003]. Dans cet arrêt, la Cour a annulé une décision qui avait sanctionné quatre compagnies pétrolières parce qu’elles avaient donné instruction à leurs stations-service affiliées sur autoroute (ou laissé volontairement faire celles-ci) de se communiquer mutuellement leurs prix de détail, au moins une fois par semaine. La Cour a considéré qu’il n’était pas démontré que les échanges d’informations avaient eu, concrètement, pour effet un alignement des comportements et de modifier l’autonomie commerciale des entreprises concernées. Ce faisant, la Cour a semblé exiger la démonstration d’un effet d’alignement de prix pour sanctionner les échanges [Voir également la décision n°07-D-16 du 9 mai 2007]. La Cour semble d’ailleurs ? quoique de façon moins claire ? avoir également raisonné de la sorte dans l’affaire du cartel des roulements à billes (voir ci-dessus), en infirmant la décision rendue sur un grief d’échanges d’information dès lors qu’il n’était pas démontré que les échanges avaient eu un effet [Cour d’appel de Paris, arrêt du 17 juin 2003,]. Pourtant, dans ce même arrêt, la Cour a en revanche considéré que la démonstration d’une entente sur le principe d’une hausse tarifaire était, quant à elle, illicite même sans démonstration d’un effet sur le marché. Dans un autre arrêt de 2004, rendu dans l’affaire des calculatrices scolaires (voir ci-dessus), la Cour a confirmé une décision sanctionnant un échange d’informations entre fabricants relativement ponctuel, dès lors que celui-ci était accompagné d’une entente entre un fournisseur et ses distributeurs et qu’un effet de hausse des prix était constaté sur le marché [Cour d’appel de Paris, arrêt du 21 septembre 2004]. Dans un arrêt de 2006, la Cour a sanctionné des pratiques d’échanges d’informations intervenus sur des marchés oligopolistiques, eu égard au degré de concentration du marché, au caractère sensible des informations échangées et à la fréquence des échanges, indépendamment de l’existence d’une entente sur les conditions de commercialisation des services concernés [Cour d’appel de Paris, arrêt du 26 septembre 2006, Jurisdata n°2006-311947]. Enfin, la Cour de cassation a confirmé la nécessité de démontrer un effet des échanges d’informations, en cassant en 2007 un arrêt de la Cour d’appel de Paris, au motif que cette dernière avait confirmé la sanction d’un échange d’informations sans démontrer à suffisance de droit que cet échange avait eu pour effet concret de permettre à chacun des opérateurs de s’adapter au comportement prévisible de ses concurrents et ainsi de fausser de façon sensible la concurrence sur le marché concerné [Cour de cassation, arrêt du 29 juin 2007, pourvoi n°07-10.303 ; la Cour d’appel de Paris, statuant comme juridiction de renvoi après cassation, a ensuite pu constater que les échanges avaient eu des effets, arrêt du 10 mars 2009, RG n°2007/19110, statuant sur la décision n°05-D-65 du 30 novembre 2005].
Ententes de prix. Les ententes sur les prix peuvent prendre plusieurs formes. Il peut s’agir de la diffusion d’une liste de prix minimum par l’un des participants, suivie d’un accord des concurrents pour suivre les prix ainsi diffusés [Décision n°00-D-39 du 24 janvier 2001]. Il peut également s’agir d’une entente sur le niveau des taux de remise à pratiquer à l’égard des distributeurs [Décision n°02-D-57 du 19 septembre 2002, confirmée sur ce point par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 17 juin 2003]. L’entente peut consister en la diffusion d’un tarif uniforme, par zone, accompagné de hausses régulières dudit tarif[Décision n°03-D-12 du 3 mars 2003]. Elle peut concerner la diffusion de grilles de tarifs, dont les participants s’inspirent pour établir leurs devis, dans la mesure où une telle pratique « a nécessairement une incidence directe sur le niveau des prix effectivement pratiqués, peu important qu’à ce prix initial se surajoutent postérieurement des options et services qui peuvent faire varier le prix final »[ Décision n°06-D-09 du 11 avril 2006] Enfin, ont été sanctionnés la diffusion de listes de « prix objectifs », accompagnée de pressions et de pratiques de surveillance visant à en assurer le respect, ainsi que le contrôle et la limitation des opérations promotionnelles faites par les entreprises concernées [Décision n°03-D-36 du 29 juillet 2003].
Répartition de marchés. L’objectif poursuivi par le cartel peut être de répartir et/ou de geler les parts de marché des différents participants. Cette pratique est généralement rendue visible par les refus de livraisons qui sont opposés par les membres du cartel lorsque leur quota imposé par le cartel est atteint. Ainsi, dans le cadre du cartel des produits en béton préfabriqué (voir ci-dessus) certains fabricants avaient négocié, par l’intermédiaire d’un tiers, des quotas de vente pour chacun d’entre eux, en fonction des clients concernés. Cette pratique a été sanctionnée, la décision retenant qu’un des fabricants détenait un dossier précis sur les ventes de l’un de ses concurrents client par client, ce qui supposait un échange d’informations. En outre, le nom de l’intermédiaire et une description du rôle qu’il avait joué étaient mentionnés dans plusieurs documents et déclarations et plusieurs négociants s’étaient vus opposer un refus de livrer par des fournisseurs ? refus qui ne pouvaient s’expliquer autrement que par l’existence d’une entente préalable [Décision n°00-D-39 du 24 janvier 2001]. Comme il n’est pas toujours possible de refuser de livrer, les participants au cartel peuvent également procéder à des « restitutions » de part de marché a posteriori. C’est ce qui a été sanctionné dans le cadre du cartel des répartiteurs pharmaceutiques, qui rétablissaient les parts de marché fixées par concertation, à l’occasion des successions de leurs clients pharmaciens [Décision n°01-D-07 du 11 avril 2001]. Enfin, sur des marchés ou l’achat se fait souvent par voie d’appel d’offres, la répartition du marché peut être rendue moins visible par la pratique d’offres de couverture (c.a.d. volontairement plus élevées que celle du concurrent auquel a été attribué le client ou la zone concernés)[ Décision n°03-D-12 du 3 mars 2003].
Entente au stade de la fabrication ou de la distribution. Les ententes anti-concurrentielles sont interdites à tous les stades de la chaîne de production et de distribution. Des grossistes répartiteurs pharmaceutiques on ainsi été sanctionnés pour s’être réparti le marché dans le nord de la France [Décision n°01-D-07 du 11 avril 2001]. Par ailleurs, une même entente peut impliquer des acteurs présents à des niveaux différents. Ainsi, dans l’affaire du cartel des produits en béton préfabriqués (voir ci-dessus), des négociants ont été sanctionnés parce qu’ils s’étaient entendus entre eux et réunis avec des fabricants en vue de déterminer la façon dont seraient répercutées des hausses de prix décidées par les fabricants [Décision n°00-D-39 du 24 janvier 2001]. Il est notable que dans cette décision, il a été considéré que le fait que les négociants avaient peu d’autres alternatives que de répercuter les hausses décidées par les fabricants ne justifiait pas le fait de s’être concertés pour adopter une politique commune. On relèvera aussi un considérant général d’une décision de 2002, selon lequel le constat de parallélismes de prix au stade de la revente au détail peut s’expliquer par (i) une entente horizontale entre distributeurs, (ii) une série d’ententes verticales entre chaque fournisseur et ses distributeurs ou (iii) une réaction similaire des distributeurs à la diffusion de tarifs conseillés par les fournisseurs [Décision n°02-D-42 du 28 juin 2002, partiellement annulée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 juillet 2003, sur le fondement de la prescription]. Enfin, il convient de noter que le cumul d’ententes verticales (fournisseur-distributeurs) et d’ententes horizontales (par exemple entre fournisseurs) peut aboutir à verrouiller complètement le marché et être ainsi considéré comme particulièrement restrictif de concurrence [Décision n°02-D-42 du 28 juin 2002].
Défense du marché. Les ententes anti-concurrentielles entre concurrents peuvent également viser à protéger la situation existante des acteurs du marché contre les nouveaux entrants ou la politique agressive de certains acteurs existants. Dans l’affaire précitée du cartel des grossistes répartiteurs, des entreprises ont été sanctionnées parce qu’elles s’étaient concertées pour empêcher la progression de deux concurrents, à la fois en adoptant une politique de boycott à l’égard des clients qui avaient choisi de s’approvisionner auprès de ces concurrents et en adoptant une politique de rétribution, sous forme d’avantages commerciaux, des clients demeurés fidèles [Décision n°01-D-07 du 11 avril 2001]. Dans l’affaire précitée des produits sanitaires, de chauffage et de climatisation, des entreprises ont été sanctionnées parce qu’elles s’étaient concertées pour empêcher ou freiner la livraison d’un certain type de distributeur de produits leur faisant concurrence, avec pour objectif de protéger leur « filière professionnelle » [Décision n°06-D-03bis du 9 mars 2006].