Dans le cadre du plan « Réarmer l’Europe » annoncé par la Commission européenne en ce début mars 2025, 800 milliards d’euros seront mobilisés afin de permettre la montée en puissance des armées européennes.
Cet accroissement des dépenses militaires de plusieurs pays de l’Union européenne, supposant notamment l’achat de matériel de guerre, est l’occasion de faire le point sur les spécificités des marchés publics de défense ou de sécurité prévues par le code de la commande publique (CCP).
1. Spécificités liées à l’objet du marché
Les principes de la commande publique que sont la liberté d’accès, l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures sont applicables aux marchés de défense ou de sécurité, avec la particularité que ces principes ont, dans ce cas, pour objectif d’assurer le renforcement de la base industrielle et technologique de la défense européenne (L. 1113-1 CCP).
Ces marchés ne peuvent être passés que par l’Etat et ses établissements publics du fait de leur objet spécifique.
La nature des prestations de ces marchés se caractérise par leur sensibilité au regard des enjeux militaires et de défense. L’objet des prestations est ainsi encadré par le code de la commande publique et limité à :
Les marchés ayant un tel objet doivent obligatoirement être passés selon les règles applicables aux marchés de défense et de sécurité qui présentent des particularités compte tenu de la sensibilité des prestations en cause.
2. Conditions de publicité et de mise en concurrence adaptées
Pour répondre à l’objectif d’assurer le renforcement de la base industrielle et technologique de la défense européenne, les procédures de passation des marchés de défense ou de sécurité présentent une certaine souplesse pour l’Etat. Plusieurs spécificités sont à relever. En premier lieu, les hypothèses de conclusion d’un marché de défense ou de sécurité sans publicité ni mise en concurrence préalables sont plus nombreuses que celles prévues pour la passation des marchés publics classiques.
Il existe ainsi des marchés de défense ou de sécurité qui ne sont pas soumis aux dispositions du code de la commande publique relatives à l’obligation de publicité et de mise en concurrence (CCP, art. L. 2515-1).
👉 A titre d’exemple, des marchés portant sur des armes, munitions ou matériel de guerre ne sont pas soumis à une procédure de mise en concurrence lorsque la protection des intérêts essentiels de sécurité de l’Etat l’exige, notamment pour des achats qui nécessitent une confidentialité extrêmement élevée ou une grande rapidité d’acquisition. C’est également le cas des marchés conclus en application de règles de passation prévues par un accord international ou encore des marchés passés dans le cadre d’un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement, mené conjointement par des Etats membres de l’Union européenne en vue du développement d’un nouveau produit.
D’autres marchés peuvent par ailleurs être passés selon une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables.
👉 A titre d’exemple, un marché conclu pour faire face à une urgence résultant notamment d’un conflit armé ou d’une guerre en France ou à l’étranger peut être passé selon une procédure négociée sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque cette situation d’urgence est incompatible avec les délais d’une procédure de mise en concurrence (CCP, art. R. 2322-3). C’est également le cas lorsqu’un marché ne peut être conclu qu’avec un seul opérateur économique déterminé pour des raisons techniques (ex. garantir le fonctionnement des forces armées).
En second lieu, il importe de relever que la procédure d’appel d’offres ouvert n’est pas applicable aux marchés de défense et de sécurité de sorte que seuls les candidats sélectionnés par l’Etat pourront ensuite remettre une offre.
Rappel : d’un point de vue pratique, les candidats à un marché de défense ou de sécurité se trouvent dans l’obligation de fournir, à l’appui de leur candidature, les documents permettant de prouver qu’ils disposent de l’aptitude et des capacités requises. Ils ne peuvent pas se limiter à cocher la case du point 2 de la rubrique C3 du formulaire DC2.
3. Conditions de participation restreintes
Compte tenu de la spécificité des prestations objet des marchés de défense ou de sécurité, tous les opérateurs économiques ne sont pas admis à présenter leur candidature.
En premier lieu, il existe un principe de préférence européenne pour la passation des marchés de défense ou de sécurité selon lequel seuls des opérateurs économiques d’Etats membres de l’Union européenne ou parties à l’Espace économique européen sont admis à participer à la procédure de passation (CCP, art. L. 2353-1).
L’Etat peut toutefois décider de permettre à des opérateurs économiques d’Etats tiers de participer à la procédure de passation en établissant des critères d’admissibilité de leur candidature (CCP, art. R. 2342-8).
Ce principe de préférence européenne peut également, dans certains cas, avoir une incidence sur les conditions d’exécution du marché.
👉 A titre d’exemple, l’Etat a pu exiger dans un cahier des charges que la production d’un équipement soit réalisée sur le sol européen, en ce compris les sources d’approvisionnement et la chaîne d’assemblage de l’équipement concerné.
A noter : le juge administratif considère que le principe de préférence européenne s’applique uniquement aux candidats, sans s’étendre aux sous-contractants (TA Paris, 12 novembre 2024, n° 2113501) ou aux sous-traitants (TA Paris, 11 décembre 2024, n° 2430541). Un candidat ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’Espace économique européen peut ainsi s’adjoindre d’un sous-traitant ou d’un sous-contractant relevant d’un Etat tiers.
En second lieu, s’agissant spécifiquement des marchés donnant accès à des informations classifiées (relevant du secret de la défense nationale), l’opérateur économique ainsi que son représentant légal doivent disposer d’une habilitation spécifique telle que prévue par l’instruction générale interministérielle n° 1300/SGDSN/PSE/PSD sur la protection des secrets de la défense nationale du 9 août 2021 (dite « IGI 1300 »).
Dès le début de la procédure de passation, l’Etat est tenu d’informer le responsable légal de son obligation d’obtenir, pour lui-même et pour la personne morale qu’il représente, des habilitations, préalablement à la signature du contrat, voire dès le dépôt de leur candidature. Les sous-traitants et sous-contractants nécessitant d’accéder aux informations classifiées doivent également obtenir une habilitation.
Si l’utilisation d’un système d’information classifié est requise pour l’exécution du contrat, voire dans le cadre de sa passation ou de sa conclusion, celui-ci doit également faire l’objet, préalablement à son emploi, d’une décision d’homologation.
Lorsque la personne morale est de droit étranger ou qu’elle comporte des ressortissants étrangers nécessitant l’accès à des informations ou supports classifiés, une habilitation au niveau Secret ou Très Secret peut être délivrée, à la condition qu’il existe un accord de sécurité entre la France et l’État dont l’intéressé est ressortissant. Ils ne peuvent toutefois pas se voir communiquer d’informations classifiées comportant la mention Spécial France.
👉 En pratique, l’Etat français est souvent plus réticent à accorder une habilitation lorsque l’opérateur économique n’est pas implanté en France (filiale ou succursale française) et/ou lorsque le représentant légal est un ressortissant d’un Etat tiers, y compris en présence d’un accord de sécurité.
Cette obligation d’obtention d’une habilitation est également susceptible d’avoir un impact sur l’exécution du marché en cas de changement de dirigeant et/ou de personnel par exemple.
A noter : concernant les marchés en cours d’exécution, ces spécificités relatives à la nationalité du titulaire du marché supposent de porter une attention particulière dans le cadre d’opérations de restructuration, notamment en matière de fusions-acquisitions, en ce qu’elles pourraient limiter les possibilités de cession des marchés de défense ou de sécurité. |
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