Droit d’auteur : le triple test à l’ère numérique

Article publié dans la revue Lamy Droit de l’immatériel n°15 d’avril 2006, page 63

L’arrêt Mulholland Drive et les débats parlementaires sur la copie privée ont replacé le « triple test » au centre de l’actualité et rappelé qu’il s’imposait au législateur et aux tribunaux. Rarement appliqué en pratique, le « triple test » nécessite de repenser certains éléments de notre droit d’auteur. Un tour d’horizon international n’est pas inutile avant l’examen du projet de loi DADVSI (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) par le Sénat.

L’actualité de la copie privée a remis à l’ordre du jour le « triple test », un concept introduit en 1971 par la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (9 septembre 1886) afin de limiter l’étendue des exceptions au droit d’auteur.

Le triple test a été intégré dans la Directive 2001/29 CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droit voisins dans la société de l’information, et doit donc servir de standard au niveau communautaire.

Il a aussi été appliqué en tant que tel pour la première fois par la Cour de cassation dans l’arrêt Mulholland Drive du 28 février 2006.

C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a adopté le 21 mars 2006 le projet de loi DADVSI , qui transpose la Directive et introduit pour la première fois le triple test en droit positif français.

Le triple test entraîne une évolution ? voire une révolution ? de la pensée traditionnelle du droit d’auteur, dont les ramifications n’ont pas fini de se révéler. Se révélant un outil adapté à l’ère numérique, il bouscule particulièrement certaines exceptions traditionnelles au droit d’auteur comme la copie privée.

1. Vers une approche économique du droit d’auteur

1.1 L’introduction du triple test dans les traités internationaux

Le triple test réserve aux Etats la faculté de créer des exceptions aux droits des auteurs, à condition que ces exceptions : (1) soient limitées à certains cas spéciaux ; (2) ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ; et (3) ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

Les exceptions que les Etats peuvent admettre au monopole de l’auteur sur son œuvre sont limitées par la conformité nécessaire à chaque étape de ce test. Ce principe découle de plusieurs traités internationaux, et a été repris par le législateur communautaire.

Introduit par l’Acte de Paris en 1971, l’article 9.2 de la Convention de Berne prévoit ainsi l’application du test aux exceptions concernant le droit de reproduction. L’article 13 des accords ADPIC de 1994 en a étendu le champ d’application à tous les autres droits exclusifs dévolus à l’auteur (voir aussi dans les deux traités de l’OMPI du 20 décembre 1996 : l’article 10 du Traité sur le droit d’auteur et l’article 16 du Traité sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes).

Le triple test consacre une vision économique des droits de l’auteur, conforme à l’approche traditionnelle du copyright.

Dans le système du copyright, le monopole de l’auteur est limité par une exception principale, le « fair use » ou « fair dealing », qui permet au public d’exiger l’accès à l’œuvre et à sa reproduction, malgré l’opposition de l’auteur ou son absence d’autorisation. Cette exception de portée générale doit être appréciée par le juge in concreto.

Dans ce système, l’usage est considéré loyal (fair) au regard de quatre critères :(1)la nature de l’œuvre protégée, (2) la nature et le but de l’usage (par exemple, commercial ou éducatif), (3) l’étendue qualitative et quantitative de l’usage,(4) l’impact de celui-ci sur le marché éventuel ou sur la valeur de l’œuvre (voir par exemple la section 107 du U.S Copyright Act).

Ce système est particulièrement sensible aux intérêts économiques en jeu et met l’accent sur l’intérêt public et sur les droits des utilisateurs.

En cela, il se différencie du droit d’auteur qui est centré sur la personne du créateur : c’est la raison pour laquelle le droit d’auteur est souvent qualifié de droit « personnaliste ». Les prérogatives de l’auteur sont protégées par une délimitation stricte d’exceptions matérialisées dans une liste exhaustive.

1.2 La Directive sur le droit d’auteur : un compromis difficile entre le droit d’auteur et le copyright

La Directive du 22 mai 2001 combine l’approche « traditionnelle » du droit d’auteur en prévoyant une liste d’exceptions et limitations au principe du monopole de l’auteur, avec le triple test issu de l’approche copyright.

C’est ce que prévoit l’article 5.5, selon lequel « les exceptions et limitations prévues (?) ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ».

Les Etats membres peuvent donc choisir dans la liste celles des exceptions qu’ils tolèrent , et sont également tenus au respect du triple test dans la mise en œuvre de ces exceptions. Seules les transpositions de l’exception relative aux reproductions provisoires et les dispositions sur les mesures techniques de protection (MTP) ont été rendues obligatoires

Fruit de nombreux compromis, le résultat n’est guère convaincant. Pis, il porte le germe d’une « désharmonisation » des règles des Etats membres (cf. infra).

De surcroît, en utilisant le triple test comme « méta norme », la Directive a voulu fixer la limite au-delà de laquelle les Etats ne peuvent aller dans la détermination des exceptions aux droits d’auteur. Cela implique que les exceptions délimitées par la Directive et diversement transposées au niveau national, pourront donc, à leur tour, faire l’objet de nouvelles restrictions non harmonisées au gré de l’application du triple test.

Au niveau national, les solutions de litiges concernant le droit d’auteur dépendront donc d’une part du nombre d’exceptions transposées par la législation nationale, et d’autre part, de l’appréciation qui en sera faite par le juge national au regard du triple test, en fonction de l’exception considérée, du support concerné et de l’incidence éventuelle de mesures techniques de protection.

Autre problème soulevé par la Directive : les Etats membres n’ont pas l’obligation de transposer la mention expresse du test dans leur législation (à ce jour, seuls la Finlande, la République Tchèque et l’Espagne n’ont pas encore – ou pas complètement – transposé la Directive). Ils peuvent donc se contenter de laisser au législateur l’application du triple test comme « philtre » en amont des exceptions admises par la loi.

Concrètement, l’Allemagne, le Danemark, l’Italie et les Pays-Bas ont décidé de ne pas transposer le test en droit interne. La Grèce et l’Espagne l’ont au contraire expressément transposé.

Il en est de même pour le projet de loi français qui prévoit d’ajouter un alinéa à l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle afin d’intégrer directement le test dans la loi et sous ces termes : « Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur » (article 1 bis du projet de loi. Voir aussi notamment l’article 2).

Autant de variables qui rendent inévitable une différenciation des solutions selon les pays, les exceptions et les supports. La faiblesse du niveau d’harmonisation est d’autant plus regrettable que la protection des œuvres est une question fondamentale pour l’avenir de l’industrie culturelle et qui ne peut être traitée que globalement.

1.3 Qui doit appliquer letriple test ?

La question est posée par plusieurs auteurs (notamment l’article de P-Y Gautier, Com. élect. 2001, chron. n°25). L’enjeu est double : premièrement, savoir si le triple test doit être appliqué directement par les tribunaux, ce qui confèrerait au juge un pouvoir d’agent économique ; deuxièmement, savoir si les organes chargés du respect des traités internationaux (OMC) ou communautaires (CJCE) peuvent imposer une certaine vision supranationale du droit en donnant un guide d’interprétation du triple test.

i) Les tribunaux doivent-ils appliquer le triple test ?

Le débat n’est pas neutre : confier l’application du triple test aux tribunaux revient à en faire les juges des exceptions au droit d’auteur, ce qui n’est pas vraiment conforme à la tradition du droit d’auteur.

Certains y ont vu un risque que le juge empiète directement sur les pouvoirs du législateur et viole ainsi la séparation des pouvoirs (voir l’article « Une dangereuse erreur » de P. Aigrain sur debatpublic.net).

Il nous semble au contraire raisonnable de soutenir qu’il n’appartient pas au législateur d’entrer dans le détail des exceptions (combien de copies privées par type de support ? Comment juger de la licéité d’un dispositif anti-copie particulier ? etc.). Ce rôle peut être naturellement dévolu au juge, qui dispose d’une capacité plus grande d’évolution à la technique et de prise en compte des circonstances de l’espèce.

Cette question n’est plus vraiment d’actualité en France puisque le triple test sera prévu par la loi transposant la Directive. La question de son applicabilité directe selon la Convention de Berne ou selon la Directive est donc résolue : le juge français appliquera le test en vertu de la loi nationale.

En revanche, la transposition française de la Directive pose une nouvelle question en instaurant un « collège de médiateurs » compétent pour appliquer le triple test à certains litiges privés (article 9 du projet de loi; le collège a compétence pour déterminer au cas d’espèce le nombre de copies privées pouvant être réalisées sur une œuvre).

Ce collège pose un potentiel conflit de « juridiction » avec les tribunaux, la loi ne précisant à aucun moment si le renvoi au collège est obligatoire, ni quelle portée aura la décision rendue par ce collège et quels recours pourront lui être opposés.

ii) L’application ultime du test aux niveaux communautaire et international

Dans l’ordre communautaire, c’est la CJCE qui devrait au final faire respecter le test lorsque des plaintes venant des auteurs remettront en cause les limites des exceptions édictées au niveau national.

De même, au regard des accords ADPIC, cette mission pourrait être prise en charge par la CJCE ou par un panel émanant de l’OMC. Les enjeux de cet examen international ne doivent pas être pris à la légère. En effet, si l’OMC décide que les exceptions prévues par les Etats en matière de droit d’auteur ne sont pas conformes au test, ceux-ci devront éventuellement faire face à des sanctions commerciales.

Les Etats-Unis ont expérimenté le premier passage devant un organe international de règlement des différends au sujet du triple test. Cette procédure les opposait à la Communauté européenne à propos d’une exception contenue dans la loi américaine de 1998 sur le copyright qui prévoyait que certains restaurants, bars et commerces diffusant des œuvres musicales au moyen de radios ou télévisions, seraient exemptés sous certaines conditions du paiement des droits d’auteur (Rapport du 15 juin 2000 du panel de l’OMC, Etats-Unis ? Section 110 5) du US Copyright Act, WT/DS160/R. Voir également l’analyse de J. Ginsburg à ce sujet, RIDA janvier 2001, p.2).

Le panel s’est livré à une interprétation très poussée du triple test au regard de l’article 13 des accords ADPIC et a conclu à l’absence de conformité de l’exception américaine.

Le panel a ainsi estimé qu’au regard de la première étape du test, la loi américaine aboutissait à exempter un trop grand nombre d’établissements. Le panel a toutefois refusé de compléter cette analyse quantitative par une analyse qualitative en rejetant tout « jugement de valeur sur la légitimité d’une exception ou limitation » (Rapport précité, paragraphe 6.157).

Le panel a également estimé que la loi américaine ne passait pas la deuxième étape du test, après avoir pris en compte « les formes d’exploitation qui, avec un certain degré de probabilité et de plausibilité, pourraient revêtir une importance économique ou pratique considérable » (Rapport précité, paragraphe 6.180) et « les effets réels et potentiels sur les conditions commerciales et technologiques qui règnent actuellement sur le marché ou qui y règneront dans un proche avenir » (Rapport précité, paragraphe 6.187).

En précisant la portée de chaque étape du test, le panel a manifestement souhaité favoriser le monopole de l’auteur et poser la première pierre d’un véritable droit supra national en la matière.

L’impact de ce rapport dépendra évidemment du comportement des Etats face à une décision de non-conformité, de l’utilisation éventuelle de cette décision comme « précédent » par des panels ultérieurs et de la volonté des juges nationaux de s’en servir comme guide d’interprétation du triple test (un deuxième panel a été réuni à propos d’une disposition canadienne portant sur les brevets et sa conformité au triple test (article 30 des accords ADPIC), voir le rapport du 7 avril 2000, WT/DS114).

2. La copie privée à l’épreuve du triple test

La copie privée figure dans la liste des exceptions au droit d’auteur prévue par la Directive. Elle constitue certainement le point de cristallisation du débat sur l’application du triple test : reconnaître sa pleine compatibilité au triple test revient à dire illégaux les systèmes de protection anti-copie.

En France, ce débat a connu une double actualité avec l’arrêt de la Cour de cassation du 28 février 2006 (affaire « Mulholland Drive ») et la transposition de la Directive votée par le Parlement le 21 mars 2006.

2.1 L’affaire « Mulholland Drive » : une première application du triple test à l’exception de copie privée

Les faits étaient les suivants : un consommateur achète le DVD du film Mulholland Drive de David Lynch, et souhaite en réaliser une copie sur cassette VHS afin de le visionner sur le magnétoscope de ses parents. Il se heurte à une protection anti-copie insérée sur le support du DVD. Soutenu par l’association UFC Que Choisir, il se plaint donc de ce que la présence de cette mesure technique de protection porte atteinte au « droit de copie privée » reconnu, selon lui, à l’usager par le Code de la Propriété Intellectuelle.

Son action est déboutée par les juges de première instance (TGI Paris 30 avril 2004), au motif que cette copie privée ne satisferait pas aux critères du triple test au regard de la Convention de Berne Se fondant sur une application directe de la Directive de 2001, la Cour d’appel (CA Paris 22 avril 2005) décide au contraire que l’exception de copie privée est bien conforme au triple test.

Pour savoir si l’exception de copie privée pouvait faire obstacle à l’insertion de mesures anti-copie sur un DVD, la Cour de cassation devait donc déterminer si cette exception outrepassait les limites prévues par le triple test.

La Cour ne répond pas à la question posée et se contente de rappeler que si la copie privée des DVD avait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, elle ne pourrait alors faire obstacle à l’insertion des mesures techniques de protection (MTP) sur le support de l’œuvre.

Cette « réponse d’attente » n’est pas totalement surprenante : dans son avis, l’avocat général Dominique Sarcelet, regrettait que le report du projet de loi le privait de la mise en œuvre nationale de la protection des MTP et laissait entier le débat judiciaire sur l’interprétation des textes en vigueur.

L’arrêt a néanmoins le mérite de rappeler qu’il n’existe pas de « droit à la copie privée », seulement une « exception de copie privée ».

Cette exception doit être soumise au triple test prévu par la Convention de Berne et par la Directive de 2001. Dans cet examen, il conviendra donc de prendre en compte l’importance économique de cette forme d’exploitation de l’œuvre et de la confronter aux risques d’atteinte aux droits de l’auteur, risques en l’occurrence amplifiés par la technologie numérique.

La Cour d’appel est ainsi sanctionnée, car elle n’a pas examiné l’aspect économique de la copie privée (deuxième étape du test), tout particulièrement en tenant compte des « risques inhérents au nouvel environnement numérique ».

Avant de se prononcer sur la validité en l’espèce des MTP, la Cour de renvoi va devoir réaliser cette délicate confrontation. La Cour de cassation ne donne toutefois aucune indication concrète sur la méthode. L’application du triple test ne va pourtant pas sans quelques hésitations.

2.2 Comment appliquer les trois étapes du test à la copie privée ?

Il existe très peu de travaux au niveau international qui pourraient servir aux tribunaux de « guide d’interprétation » du triple test (rapport du Panel de l’OMC du 15 juin 2000 (cf. infra) ; voir aussi les travaux réalisés auprès de l’OMPI sur les limitations et exceptions au droit d’auteur dans l’environnement numérique par R. Knights (29 août 2000) et S. Ricketson (5 avril 2003)).

i) L’exigence d’un « cas spécial »

La première étape du test, à savoir l’exigence d’un « cas spécial », a été interprétée comme s’appliquant à un « cas détaillé, précis, spécifique, inhabituel, hors du commun », ayant « une portée restreinte ainsi qu’un objectif exceptionnel ou reconnaissable » (Y. Gaubiac, Com. Com. élec. 2001, chronique n°15).

Cette exigence est largement considérée comme acquise en matière de copie privée, que ce soit par les tribunaux ou les chroniqueurs.

On pourrait pourtant objecter que la copie privée des œuvres devenant la norme à l’ère du numérique et du téléchargement de masse, elle ne répondrait finalement plus à la première étape du test.

Cette analyse n’a pas été approfondie devant les tribunaux qui ont appliqué le triple test.

Elle risque d’être encore plus oubliée à l’avenir, le Parlement français ayant, fort curieusement, omis cette première étape dans le projet de loi de transposition de la Directive (article 1bis du projet de loi précité).

ii) L’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre

La deuxième étape consacre l’approche économique de l’exception : si l’exploitation, au titre de l’exception, revêt une importance pratique et économique considérable et prive en conséquence l’auteur de gains commerciaux significatifs, elle ne sera pas conforme à la deuxième étape. L’exploitation qui génère de tels gains doit en effet être réservée aux auteurs.

Dans un jugement du 10 janvier 2006 rendu suite à la plainte d’un consommateur ayant acquis un CD de Phil Collins qu’il ne pouvait utiliser sur son iBook en raison de la présence d’une MTP, le Tribunal de grande instance de Paris a exigé que soit rapportée la preuve de l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre au moyen d’études économiques faisant ressortir les effets de la réalisation de copies privées sur le marché de l’œuvre considérée.

Force est cependant de constater que dans le contexte du numérique, la copie privée risque de devenir un véritable mode d’exploitation concurrent et donc une menace mortelle pour l’exploitation normale de l’œuvre ? c’est-à-dire l’exploitation souhaitée par l’auteur.

iii) La protection des intérêts légitimes de l’auteur

La troisième étape protège les intérêts légitimes de l’auteur, l’exception ne devant pas lui causer un préjudice injustifié ou déraisonnable.

Le préjudice sera par exemple considéré comme injustifié ou déraisonnable si l’exception autorise la copie à des fins commerciales, sans l’accompagner d’un mécanisme compensatoire tel qu’une licence obligatoire assortie d’un droit à rémunération.

Le préjudice ne sera pas considéré comme injustifié ou déraisonnable si l’exception n’implique pas de commercialisation. C’est par exemple le cas de l’exception de courte citation

C’est également le cas de la copie privée (par hypothèse non destinée à un usage commercial), ce qui ne signifie pas que l’auteur ne doive pas être indemnisé du manque à gagner. Un tel mécanisme d’indemnisation est prévu en France par le système de la rémunération pour copie privée , notamment dans la Loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 (article L. 311-1 et s. du Code de la propriété intellectuelle).

Dans l’affaire Mulholland Drive, la Cour d’appel avait considéré qu’en l’espèce, l’utilisation du DVD par le consommateur concerné dans un cadre familial restreint ne causait pas un préjudice déraisonnable à l’auteur.

L’interprétation de la Cour ne semble pas critiquable tant il est vrai que la copie destinée à ses parents ne cause pas un préjudice injustifié à l’auteur. Elle ne devrait cependant pas être transposée à la copie « privée » d’une œuvre destinée à être diffusée en ligne. Dans cette situation, la rémunération pour copie privée prévue par la loi n’est en effet qu’un pis-aller sans commune mesure avec la perte économique subie par l’auteur au regard du nombre considérable de fichiers portant l’œuvre qui peuvent être créés et échangés.

La balance entre les intérêts de l’auteur et du consommateur dans l’affaire Mulholland Drive ne s’annonce donc pas aisée pour la Cour d’appel de renvoi.

2.3 La conciliation de la copie privée et du triple test à l’occasion de la transposition de la Directive

Le sort de la copie privée à l’ère numérique varie considérablement selon les pays.

Le législateur italien n’a pas bouleversé les règles existantes pour prendre en compte l’arrivée du numérique. L’exception de copie privée reste autorisée moyennant une rémunération équitable.

Au contraire, le législateur allemand a choisi de restreindre strictement l’exception de copie privée : l’exception est maintenue mais la copie ne sera pas considérée comme privée si le copiste a connaissance de l’origine illicite de l’exemplaire qu’il a en sa possession. En outre, sont licites les mesures techniques de protection qui font échec à la copie privée.v

Il en va encore différemment aux Pays-Bas, qui ont établi une ligne de partage différente : le téléchargement est admis ? même si l’œuvre d’origine est illicite – au contraire de la mise à disposition d’œuvres contrefaites qui elle, est sanctionnée.

Dans les pays de copyright, tels que l’Angleterre et l’Irlande, il revient toujours au juge de trancher au cas par cas sur le caractère justifié et loyal de l’exception revendiquée par l’utilisateur. La législation nationale ne comporte donc pas d’autorisation positive de la copie privée mais laisse au juge une grande marge d’appréciation à ce sujet. A propos des MTP, le Royaume-Uni envisage la négociation d’accords entre les auteurs et les utilisateurs ainsi que des systèmes de médiation.

En France, le projet de loi déposé le 12 novembre 2003 a fait l’objet d’âpres discussions centrées sur la copie privée et les MTP. Le résultat est d’une grande confusion.

En réponse à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 février 2006, qui rappelait que la copie privée est en droit français une exception, l’article 8 du projet de loi proclame solennellement la garantie du « droit au bénéfice de l’exception pour copie privée », qui n’est autre qu’un « droit à l’exception » (!) pour reprendre les termes employés par le Ministrede la Culture.

En parallèle, en application de l’article 6.4 de la Directive de 2001, l’article 7 du projet de loi autorise les mesures techniques de protection lorsqu’elles sont destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées.

Cette contradiction est aggravée par un amendement qui prévoit que « les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies ». Mais le texte ne permet pas de dire si cette limitation peut être totale.

Conclusion

La Directive avait renvoyé aux Etats membres la responsabilité de se prononcer sur la licéité de la copie privée au regard du triple test. La Cour de cassation n’a pas été plus courageuse en laissant le soin au législateur de trancher. C’est ce qu’a fait le législateur en renvoyant la décision à? un collège de médiateurs. L’application du triple test s’avère finalement être une triple « patate chaude ».