Article publié dans la revue JCP Edition Entreprise et Affaires n°17-18 du 24 avril 2008, page 11.
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique devait intégrer en droit français un régime de responsabilité allégée au profit de l’hébergeur de site Internet. A la différence de l’éditeur, l’hébergeur n’engage en effet sa responsabilité que s’il a eu une connaissance effective des infractions commises sur son site, et s’il n’a pas agi promptement pour retirer les informations litigieuses. Malgré tout, l’imprécision du texte et les hésitations jurisprudentielles qui en découlent, suscitent des interrogations dont certaines rappellent celles déjà évoquées au moment de la première vague d’Internet.
Les années 2007 et 2008 voient se multiplier les procès médiatiques intentés par des auteurs victimes de mises en ligne massives de leurs oeuvres sur les sites web dits participatifs, dans lesquels le contenu est fourni par les internautes (TGI Paris 13 juillet 2007 (M. Christian C. et Nord-Ouest Production c/ SA Dailymotion, affaire « Joyeux Noël »), TGI Paris 19 octobre 2007 (Zadig Productions, Jean-Robert V. et Mathieu V. c/ Google Inc., affaire « Tranquility Bay »), TGI Paris 18 décembre 2007 (M. Jean-Yves L. et SARL L. Anonyme c/ SA Dailymotion) et (M. Jean-Yves L. et SARL L. Anonyme c/ Google et Google Inc.).
Les autres types de sites ont également fait l’objet d’un contentieux fourni :
– encyclopédie en ligne : TGI Paris réf. 29 octobre 2007, Mme Marianne B. et a. c/ Wikimedia Foundation,
– forums de discussion et forums Usenet : TGI Lyon, 21 juill. 2005, Groupe Mace. ? CA Versailles, 12 déc. 2007, Les Arnaques.com c/ Éd. régionales de France. ? TGI Paris, 5 févr. 2008, Dargaud et a. c/ Free et Iliad, relatif à Usenet, système en réseau d’espaces de discussion et de mise à disposition de fichiers, inventé en 1979, utilisable via Internet et accessible par abonnement auprès de certains FAI,
– blogs : CA Paris, 12 déc. 2007, Google c/ Benetton Group et Bencom.,
– pages personnelles : CA Paris, 7 juin 2006, SA Tiscali Media c/ SA Dargaud Lombard et Lucky Comics : JurisData n° 2006-305324. ? TGI Paris, réf., 19 oct. 2006, Palma c/ SARL Google France. ? TGI Paris, réf., 22 juin 2007, J.-Y. Lambert dit Lafesse et SARL Lambert Anonyme c/ Myspace Inc. : JurisData n° 2007-344341,
– petites-annonces : T. com. Paris, réf., 31 oct. 2007, Kenzo et a. c/ DMIS.,
– sites alimentés par des liens hypertextes et des flux RSS : TGI Nanterre, 28 févr. 2008, Olivier Dahan c/ Adasoft Com et Olivier Dahan c/ Eric Duperrin. ? TGI Paris, réf., 26 mars 2008, Olivier Martinez c/ Bloobox Net.
L’enjeu est évidemment pour les prestataires de sites d’obtenir le bénéfice du régime de responsabilité limitée des hébergeurs, et pour les ayants droit, la condamnation d’un intervenant solvable et identifiable, ce qui n’est pas toujours le cas de l’internaute responsable de la mise en ligne.
À la lecture des décisions récentes, plusieurs questions doivent être posées :
? quels sont les critères pertinents pour différencier les hébergeurs des éditeurs (1) ?
? quelles sont les formalités entourant la mise en cause des hébergeurs (2) ?
? assiste-t-on au retour de l’obligation de surveillance des contenus, véritable serpent de mer dont les hébergeurs espéraient être débarrassés (3) ?
Le débat semble intéresser au plus près le pouvoir politique, qui a publié un rapport provisoire d’information sur la mise en application de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (Rapp. AN, n° 627, 23 janv. 2008, Commission des Affaires économiques, de l’Environnement et du Territoire).
Florilège de décisions pas toujours cohérentes, construction d’un régime de responsabilité prétorien, intense lobbying des acteurs, intervention du pouvoir politique, grain de sel du Conseil constitutionnel…
La situation n’est pas sans rappeler fortement celle du « Web 1.0 » précédant l’adoption de la loi du 1er août 2000 (L. n° 2000-719, 1er août 2000, modifiant L. n° 86-1067, 30 sept. 1986, sur la liberté de communication).
1. Quels critères pour distinguer l’éditeur de l’hébergeur ?
L’objectif de la directive n° 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique est de favoriser le développement des échanges sur Internet. Elle instaure un régime de responsabilité allégé en faveur de certains prestataires de l’Internet afin d’éviter qu’en raison de risques juridiques ceux-ci soient amenés à censurer abusivement les contenus hébergés. La condition d’application de ce régime est le respect d’une neutralité absolue par rapport aux contenus transmis ou stockés.
Le considérant 42 de la directive résume cette problématique en indiquant que ces dérogations en matière de responsabilité « ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès (…). Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ». La passivité et la neutralité du fournisseur d’accès et de l’hébergeur s’opposent à la maîtrise intellectuelle qu’a l’éditeur sur le contenu qu’il décide de mettre en ligne. C’est au travers du prisme maîtrise technique/maîtrise intellectuelle que les juridictions prennent en compte un faisceau d’indices afin de qualifier la situation juridique d’un gestionnaire de site.
À la lecture des décisions, il s’agit clairement de l’une des principales difficultés suscitées par l’article 6 de la LCEN (L. n° 2004-575, 21 juin 2004, sur la confiance dans l’économie numérique). Des décisions qui rappellent les affaires Estelle Hallyday et Linda Lacoste (CA Paris, 10 févr. 1999 : JurisData n° 1999-020187. ? CA Versailles, 8 juin 2000 : JurisData n° 2000-119869) qui avaient fait osciller le niveau de responsabilité des hébergeurs jusqu’à leur donner un mal de mer que certains ressentent à nouveau aujourd’hui.
A. – L’initiative : le prestataire est-il personnellement à l’origine des contenus ?
Les magistrats cherchent à identifier le niveau d’intervention des prestataires sur le contenu ? choix, sélection, filtrage, contrôle, modération ? pour en déduire la qualité d’éditeur ou l’exclure.
Ce critère semble être le plus évident pour différencier le prestataire d’accès ou de stockage de l’éditeur.
Le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 13 juillet 2007 (TGI Paris, 13 juill. 2007) relatif à la diffusion du film « Joyeux Noël » sur Dailymotion, y fait expressément référence et écarte la qualité d’éditeur puisque « les contenus sont fournis pas les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même,est personnellement à l’origine de la diffusion, raison pour laquelle il engage sa responsabilité ». Le responsable d’un forum non modéré ou modéré a posteriori est en conséquence considéré comme un hébergeur, puisqu’il assure le stockage direct des messages « sans porter de regard préalable sur ces derniers » (TGI Lyon, 21 juill. 2005) et « sans contrôle a priori » (CA Versailles, 12 déc. 2007).
Les tribunaux de grande instance de Paris et Nanterre se sont également penchés sur le sort des sites alimentés par des liens hypertextes et des flux RSS. Dans ces affaires, les responsables des sites incriminés ont été condamnés pour la publication du titre et/ou des premières lignes d’un article sur la vie privée des demandeurs, suivie d’un lien vers le site sur lequel l’article complet est diffusé. Le simple renvoi par liens hypertextes ou l’abonnement à un flux RSS, combinés à un agencement par rubriques, témoignent, pour les magistrats, d’un « choix éditorial » du responsable du site.
En revanche, le TGI de Paris a écarté la qualité d’éditeur de la société Free sur le système Usenet en relevant que Free n’exerçait aucun contrôle, sélection ou intervention sur des fichiers stockés de manière temporaire et automatique. Le tribunal a ajouté en outre qu’« il n’est ni démontré ni même soutenu que la société Free a modifié le contenu de ce site, ou l’ait alimenté » (TGI Paris, 5 févr. 2008).
Ce régime a sa logique propre qui peut heurter le bon sens : les prestataires qui prennent la peine de contrôler en amont les contenus édités sont pénalisés par un régime sévère. C’est sans doute ce qui conduit les magistrats à rechercher d’autres critères.
B. – Les fonctionnalités offertes par le prestataire pour simplifier la navigation de l’internaute
La possibilité d’exclure la qualité d’hébergeur sur le fondement des moyens offerts par le prestataire pour simplifier la navigation sur le site n’est pas prévue par la lettre de la directive n° 2000/31/ CE et de la LCEN.
Cependant, certains titulaires de droits considèrent que l’exploitant du site va au-delà du simple stockage de données et des fonctions techniques caractérisant l’hébergeur en proposant de telles fonctionnalités.
Les prestataires répondent qu’au contraire, tant que leur obligation de neutralité est respectée, rien ne les empêche de rendre leurs sites plus performants en les agrémentant de fonctionnalités utiles. Selon les prestataires, cette neutralité est assurée lorsque les fonctionnalités du site sont automatisées (sélection des vidéos les plus regardées, calcul du nombre de connexions…) ou définies par les utilisateurs eux-mêmes (détermination par les utilisateurs des métatags, transcripts et autres informations pour permettre l’indexation de leurs vidéos, classement en fonction de leur nature, choix des critères de diffusion, recueil des avis des autres utilisateurs).
De même, la fourniture par le prestataire de stockage d’un lecteur multimédia ne révélerait que la volonté d’assurer un meilleur fonctionnement du site de partage de vidéos.
La réponse de la jurisprudence face à cet argumentaire est contrastée. Dans un arrêt du 7 juin 2006, la proposition faite aux internautes de créer leurs pages personnelles a convaincu la cour d’appel de Paris de donner la qualité d’éditeur à la société Tiscali Media (CA Paris, 7 juin 2006). La fourniture d’une page personnelle permettait, en l’espèce, de rendre accessibles des bandes dessinées protégées. De même, dans l’ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 22 juin2007 dans une affaire opposant l’humoriste Lafesse à la société Myspace, le magistrat a estimé que Myspace ne se limitait pas à la fonction technique d’hébergeur en imposant une structure de présentation par cadres (identité, adresse URL, centres d’intérêts, statut familial, signe astrologique, amis et commentaires d’amis du membre).
Enfin, dans le jugement du 13 juillet 2007 (Joyeux Noël), le tribunal de grande instance de Paris a considéré que « l’architecture et les moyens techniques mis en place par la société Dailymotion (…) visaient à démontrer la capacité à offrir l’accès à tout type de vidéos sans distinction, tout en laissant le soin aux utilisateurs d’abonder le site dans des conditions telles qu’il était évident qu’ils le feraient avec des oeuvres protégées par le droit d’auteur ».
Dans le sens contraire, le jugement précité du 19 octobre 2007 (affaire « Tranquility Bay » Zadig Productions, Jean-Robert V. et Mathieu V. c/ Google Inc.) du Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré que le fait pour Google Vidéo d’offrir une architecture et des moyens techniques permettant une classification des contenus « au demeurant nécessaires à leur accessibilité par le public », ne permettait pas de qualifier cette société d’éditeur.
Dans un arrêt du 12 décembre 2007 (Google c/ Benetton Group et Bencom), la Cour d’appel de Paris a considéré que le fait pour Google d’offrir aux créateurs de blogs une fonctionnalité d’installation et de présentation ou un système de protection contre des commentaires indésirables ne démontrait pas sa qualité d’éditeur.
Cette interprétation est d’ailleurs retenue par le Rapport (pour l’instant provisoire) d’information sur la mise en application de la LCEN, dans lequel la Commission des affaires économiques considère que « la structure donnée au service d’hébergement participe donc de l’essence même de ce service. La loi ne fait d’ailleurs pas dépendre la qualité d’hébergeur de la manière dont le service d’hébergement est organisé ».
C. – L’exploitation commerciale du site
Le critère de la commercialité avait déjà été adopté en 1999 dans l’affaire « Estelle Haliday » et avait alors suscité une abondante critique.
Ce critère a de nouveau été retenu par la Cour d’Appel de Paris dans deux arrêts récents (Paris 7 juin 2006, SA Tiscali Media c/ SA Dargaud Lombard et Lucky Comics et 7 mars 2007, SAS Des Hôtels Méridien c/ Sedo GMBH).
Cependant, au sein du TGI de Paris, l’utilisation de ce critère fait l’objet d’une application contrastée : appliqué en référé dans une ordonnance du 22 juin 2007(M. Jean-Yves Lambert dit Lafesse et SARL Lambert Anonyme c/ Myspace Inc), il a été écarté dans le jugement au fond du 13 juillet 2007 précité.
Pas plus que le précédent, ce critère de qualification n’est prévu par l’article 6 de la LCEN. Le régime de l’hébergeur est en effet applicable que son activité soit réalisée à titre gratuit ou à titre onéreux.
Cet argument est repris dans le Rapport d’information précité : « on ne voit pas en quoi le choix d’une rémunération par la publicité plutôt que par l’hébergement entraînerait une modification du statut de l’hébergeur (?) la condamnation du modèle de la gratuité rémunérée par la publicité n’est pas seulement contraire à la loi. Elle porte atteinte, également, aux intérêts des utilisateurs d’Internet ».
D. – Les critères de qualification non retenus par la jurisprudence
A la lecture des décisions précitées, il est urgent de rationaliser les critères de qualification, éventuellement de les compléter.
On peut regretter que les magistrats ne se soient pas prononcés sur d’autres critères tels que la possibilité de téléchargement du contenu. Cet argument a été soulevé par certains demandeurs afin de qualifier les prestataires de stockage d’éditeurs, mais n’a pas été relevé par les magistrats (voir notamment TGI Paris 13 juillet 2007 et TGI Paris 19 octobre 2007).
La possibilité offerte par certains sites, non pas seulement de lire les contenus mis en ligne, mais aussi de les enregistrer de manière permanente, pour les relire hors connexion, les transférer sur d’autres supports (CD ou DVD gravés, baladeurs multimédia) ou encore les envoyer à d’autres utilisateurs, aurait néanmoins pu émouvoir les magistrats.
Il apparaît également que la mise en garde des internautes sur la nécessité de s’assurer de la licéité des contenus au regard des droits d’auteur dont se prévalent les exploitants de plateformes vidéos ne trouve aucun écho auprès des magistrats (voir TGI Paris 13 juillet 2007).
Le choix des critères de qualification de l’hébergeur apparaît plus que jamais incertain dans l’esprit des magistrats. Cette pratique peut susciter des dérives d’interprétation défavorables aux prestataires lors de la mise en ?uvre de leur responsabilité et tendre à l’instauration d’une obligation générale de surveillance des contenus qui est pourtant expressément écartée par la loi pour les fournisseurs d’accès et hébergeurs.
2. Mise en ?uvre de la responsabilité de l’hébergeur : un séquencement à géométrie variable
L’article 6-I.5. de la LCEN impose la notification de l’hébergeur préalablement à l’introduction d’une action judiciaire. Le demandeur doit en outre joindre à la notification « la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté ».
La notification doit également comprendre une date, les coordonnées du notifiant, ainsi que celles du destinataire de la notification. Surtout, la validité de la notification est soumise à la « description des faits et leur localisation précise » et à l’indication des motifs du retrait avec justification légale et preuves à l’appui.
A défaut d’une demande préalable de retrait à l’internaute et de la définition précise des contenus, le demandeur encourt une irrecevabilité à l’égard de l’hébergeur attaqué.
Les décisions mettant en ?uvre la responsabilité de l’hébergeur sont caractérisées par une certaine inconstance. Dans certaines affaires, les titulaires de droits se voient rappeler avec sévérité les conditions de validité de la procédure de notification, dans d’autres, les magistrats font preuve d’une grande indulgence à l’égard de cette notification allant même jusqu’à en dispenser les ayants-droit.
A. – Nécessité d’identifier avec précision les contenus contrefaisants et les oeuvres contrefaites
En 2007, de nombreuses décisions ont sanctionné le manque de rigueur des titulaires de droits dans la rédaction de la notification à l’hébergeur d’un contenu illicite. Dans un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 29 octobre 2007 (Mme Marianne B. et a. c/ Wikimedia Foundation) relatif à la diffusion sur Wikipédia d’un article révélant l’orientation sexuelle des demandeurs, le Tribunal a écarté la responsabilité de l’hébergeur après avoir constaté que la notification ne faisait « nulle mention des dispositions légales essentielles pour la vérification par le destinataire du caractère manifestement illicite que doit revêtir le contenu en question ».
De même, dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Versailles (Les Arnaques.com c/ Editions régionales de France) a débouté la société ERF qui se plaignait de propos dénigrant diffusés sur le forum Les Arnaques.com en considérant que ses réclamations étaient restées « larges, vagues et générales ».
Dans les deux jugements du 18 décembre 2007, le Tribunal de Grande Instance de Paris ((M. Jean-Yves L. et SARL L. Anonyme c/ SA Dailymotion) et (M. Jean-Yves L. et SARL L. Anonyme c/ Google et Google Inc.) a déclaré l’humoriste Lafesse et les autres demandeurs irrecevables dans la mesure où aucune précision n’a été donnée sur le nom de l’?uvre, ses auteurs, et sur le nom sous lequel la vidéo arguée de contrefaçon a été diffusée sur Google Video.
Le Tribunal a notamment fait un reproche direct aux demandeurs en soulignant « qu’il ne suffit pas de prétendre subir une contrefaçon d’?uvres dont on prétend détenir les droits, encore faut-il préciser, en les nommant, les dénombrant et les identifiant, les ?uvres dont on revendique la paternité pour justifier de sa qualité à agir et de son intérêt à agir » (Voir également à ce sujet, la série d’ordonnances rendues en référé par le TGI de Paris le 9 janvier 2008 R. Mezrahi c/ Youtube, R. Mezrahi c/ Google, R. Magdane c/ Youtube et R. Magdane c/ Google).
Enfin, dans un jugement tout récent du 5 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de Paris (Dargaud et a. c/ Free et Iliad) a sanctionné les demandeurs qui avaient réclamé à la société FREE de fournir toutes les données permettant l’identification des utilisateurs responsables de la mise en ligne des ?uvres protégées. Le Tribunal a relevé que les demandeurs n’ont pas pris le soin de préciser les adresses des contenus concernés et d’indiquer quels étaient leurs droits les ?uvres prétendument contrefaites. Le Tribunal en a conclu que FREE n’avait pas été mis en mesure d’agir pour retirer les contenus litigieux et que la réclamation des demandeurs avait été mal dirigée puisque l’identification des auteurs de contrefaçons aurait dû être autorisée par un juge des requêtes.
Afin de ne pas risquer l’irrecevabilité, les demandeurs doivent donc prendre garde, dans leur notification et dans leurs écritures ultérieures, à localiser avec précision les adresses URL des contenus litigieux et à procéder à une comparaison systématique entre l’?uvre protégée et la vidéo litigieuse.
B. – Emergence d’une dispense de notification dans certains cas
A côté de cette sévérité affichée, le TGI de Paris a rendu deux jugements assez équivoques sur la mise en ?uvre de la responsabilité de l’hébergeur.
Dans le jugement précité du 13 juillet 2007 (affaire « Joyeux Noël »), le Tribunal a tout d’abord engagé la responsabilité de la société Dailymotion pour ne pas avoir retiré un contenu litigieux avant même la notification des ayants-droit.
Dans le jugement du 19 octobre 2007 (affaire « Tranquillity Bay »), les titulaires des droits ont notifié une première fois à Google la mise en ligne illicite de l’?uvre. Google a bloqué cette source, mais le film a été remis en ligne plusieurs fois par d’autres internautes. Le Tribunal a condamné Google pour ne pas avoir pas surveillé le contenu diffusé sur son service et bloqué de manière définitive toutes les sources d’accès à ce film. Le Tribunal a ainsi considéré que « le fait que chacune des diffusions soit imputable à des utilisateurs différents ne peut conduire à admettre que la société GOOGLE Inc. a satisfait à son obligation dès lors que les droits bafoués sont identiques ».
Enfin, dans un jugement tout récent du 20 février 2008, les magistrats du Tribunal de Commerce de Paris (Flach Film et a. c/ Google) ont encore plus clairement sanctionné la société Google dans le même cas de figure. Du moment où un titulaire de droits (en l’occurrence le producteur du film « Le monde selon Bush ») a notifié un contenu illicite, l’hébergeur doit rendre l’accès au film impossible et engage sa responsabilité pour toute nouvelle mise en ligne du même contenu.
Les juges parisiens donnent ici une interprétation nouvelle de la LCEN, qui va, semble-t-il, au-delà de la lettre du texte, en dispensant les auteurs d’envoyer une notification à chaque nouvelle mise en ligne du contenu litigieux, ce qui est contestable au regard de l’absence de contrôle a priori pesant sur les hébergeurs.
3. Vers le retour de l’obligation de surveillance des contenus ?
L’appréciation par l’hébergeur du caractère illicite du contenu peut être particulièrement délicate quand elle n’est pas flagrante. L’intérêt de la limitation de responsabilité tient donc notamment à éviter de transformer l’hébergeur en juge du contenu mis en ligne.
Malgré un rappel quasi-systématique l’absence d’obligation de surveiller les contenus transmis (Voir notamment, TGI Paris 5 février 2008 Dargaud et a. c/ Free et Iliad, et le jugement du TGI de Paris dans l’affaire Wikipédia du 29 octobre 2007), certaines décisions semblent tempérer ce principe pour certains types de contenus. Le spectre de l’obligation de surveillance des contenus, apparu en 2000 notamment avec l’affaire « Linda Lacoste », semble se rapprocher.
A. – La question des contenus « manifestement » illicites
Dans un jugement du 5 février 2008, le Tribunal de Grande Instance de Paris différencie les contenus pour lesquels une notification doit être envoyée à l’hébergeur, des « contenus manifestement illicites », pour lesquels aucune notification ne serait nécessaire.
Le jugement indique que l’hébergeur ne peut être tenu pour responsable que si les contenus ont un caractère manifestement illicite ce qui dans ce cas, l’oblige à dé-référencer de lui-même et sans attendre une décision de justice, les vidéos en matière de pédophilie, crime contre l’humanité et incitation à la haine raciale (contenus visés à l’article 6.I.7 de la LCEN et pour lesquels un dispositif spécifique de signalement doit être mis en place).
Le jugement signale ensuite que le texte de la LCEN « ne vise que ces trois cas pour ce qui est des documents ayant un caractère manifestement illicite qui entraînent une obligation de retrait immédiat volontaire de la société hébergeuse. Pour tous les autres cas et notamment les cas de contrefaçon, l’hébergeur (?) n’est tenu responsable que pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des contenus stockés ». Connaissance effective qu’il n’acquiert que par la voie de la notification.
La notion de contenu « manifestement illicite » a été abordée par le Conseil Constitutionnel dans ses réserves d’interprétation sur la LCEN (DC n°2004-496 du 10 juin 2004 sur la loi pour la confiance dans l’économie numérique).
Le Conseil Constitutionnel a en effet considéré que la responsabilité de l’hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite ne saurait être engagée si cette information ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge.
Aucune définition des contenus « manifestement illicites » n’ayant suivi, il n’est pas évident d’affirmer que ces contenus correspondent nécessairement aux contenus dits « odieux » visés à l’article 6.I.7 de la LCEN (dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’outre le cas des contenus visés à l’article 6.I.7 de la LCEN, le caractère manifestement illicite d’un contenu pouvait être établi par des justifications suffisantes apportées par des ayants-droit imposant dès lors à l’hébergeur de supprimer ou rendre inaccessible le contenu litigieux.).
Est-ce à dire que face à des contenus manifestement illicites, l’hébergeur peut voir engager sa responsabilité en l’absence même de notification et est en réalité tenu d’une obligation de contrôle préalable ? Si c’est l’interprétation qui doit prévaloir à la lecture de ce jugement, celui-ci pourrait réintroduire une obligation de surveillance qui n’est pas prévue par la LCEN.
Pour mémoire, la question avait déjà fait couler beaucoup d’encre lorsque le Conseil constitutionnel avait censuré la loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986 (dernier alinéa de l’article 43-8), qui prévoyait l’obligation de retirer les contenus illicites : « en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution »( DC n° 2000-433 du 27 juillet 2000).
B. – La création d’une obligation particulière de surveillance pour les contenus déjà notifiés
Pour ces contenus, le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 13 juillet 2007 (affaire « Joyeux Noël ») va directement à l’encontre de l’absence d’obligation de contrôle préalable. Après avoir rappelé que la loi n’imposait pas aux prestataires techniques une obligation générale de rechercher les contenus illicites, le jugement a condamné Dailymotion pour n’avoir rendu impossible l’accès au film qu’après avoir été mis en demeure « alors qu’il lui incombe de procéder à un contrôle a priori » !
Le fondement avancé pour justifier cette dérogation à l’absence d’obligation de surveillance et de recherche est une condamnation claire et directe du business model de Dailymotion. Les magistrats ont en effet considéré que la société Dailymotion avait nécessairement connaissance des activités illicites puisqu’elle les génère elle-même : le succès du site ne reposant que sur la diffusion par les internautes d’?uvres protégées.
Cette interprétation semble légitime en ce qu’elle tend à réparer une sorte d’injustice envers les auteurs et à condamner un système qui profite de ces derniers sans bourse délier. Elle n’est cependant pas conforme à la loi. La LCEN impose en effet de se référer à un contenu précisément identifié, et non à la simple potentialité de stocker des informations illicites.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris confirme cette ambiguïté dans l’arrêt du 19 octobre 2007 (affaire « Tranquillity Bay »). Le Tribunal y rappelle en effet l’absence d’obligation générale de surveillance, mais reproche néanmoins à Google le caractère inopérant « de solutions techniques afin de prévenir (?) l’atteinte aux droits des tiers ».
Dans cette affaire, les magistrats ont estimé que les hébergeurs devaient être capables, grâce aux moyens techniques dont ils disposent, de détecter des contenus illicites lorsque l’?uvre concernée a déjà fait l’objet d’une notification. La première notification ferait ainsi présumer de la responsabilité de l’hébergeur qui a permis une nouvelle mise en ligne du même contenu.
Dans l’affaire précitée du 20 février 2008 (affaire « Le monde selon Bush »), le Tribunal de Commerce va jusqu’à considérer que « si l’hébergeur n’est pas tenu à une obligation de surveillance générale, il est tenu à une obligation de surveillance, en quelque sorte particulière, à partir du moment où il a eu connaissance du caractère illicite du contenu ».
Conclusion
La volonté des magistrats de réagir face à l’injustice de la mise en ligne d’?uvres protégées se heurte à la volonté du législateur d’attribuer aux hébergeurs un régime de responsabilité allégé. Le risque est de voir les hébergeurs retirer tous les contenus douteux, même sans notification, sans discernement et surtout sans que l’avis du juge n’ait été consulté. C’est pourquoi les hébergeurs mettent en place des outils de plus en plus performants pour la détection et le filtrage des atteintes au droit d’auteur avant la mise en ligne du contenu (le système de reconnaissance par empreinte digitale Audible Magic a ainsi été abandonné en 2007 par Google pour son manque d’efficacité. Google développe maintenant son propre système afin de montrer sa bonne foi et sa participation active dans la lutte contre le trafic de contenu illicite).
Un arrêt unificateur de la Cour de Cassation en la matière serait donc le bienvenu, mais il est surtout possible d’espérer que ce type de contentieux disparaisse progressivement. En effet, de nombreuses majors ont déjà négocié ou prévu de négocier avec les sociétés proposant la diffusion de contenus en ligne.