Publié dans le Bulletin de l’INTA, 15 août 2008, Volume 63 n°15
Le Tribunal de commerce de Paris a rendu, le 30 juin 2008, trois décisions retenant la responsabilité d’eBay pour la vente de produits contrefaisants sur son site d’enchères en ligne ainsi que pour l’atteinte à des réseaux de distribution exclusive. Des dommages-intérêts d’un montant total de 40 millions d’euros ont été alloués aux sociétés Dior Parfums, Kenzo Parfums, Givenchy Parfums, Guerlain SA, Christian Dior Couture et Louis Vuitton Malletier. L’exécution provisoire de ces décisions a été ordonnée.
Pour sa défense, eBay invoquait le régime dérogatoire de responsabilité des hébergeurs (prévu par la Directive 2000-31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce électronique et transposé en France à l’article 6 de la LCEN n°2004-575 du 21 juin 2004) grâce auquel il aurait pu échapper à sa responsabilité directe en retirant de son site les annonces des produits contrefaisants immédiatement après réception d’une mise en demeure.
Cette position n’a cependant pas convaincu les juges français. Ils ont considéré qu’eBay exerçait une activité d’intermédiation entre vendeurs et acheteurs en contrepartie du versement d’une commission. Les juges ont expressément rejeté l’application du régime dérogatoire de l’hébergeur, dès lors que le service offert par eBay n’impliquait pas l’absence de connaissance et de contrôle des informations publiées sur son site Internet. EBay a donc été condamné sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle.
Plus précisément, les juges ont reproché à eBay d’avoir manqué à son obligation de s’assurer que son activité n’engendrait pas d’actes illicites, tels que la contrefaçon ou la violation de réseaux de distribution exclusive. Ils ont en outre considéré qu’eBay avait méconnu son obligation de vérifier que les vendeurs réalisant à titre habituel de nombreuses transactions sur son site étaient dûment immatriculés au Registre du Commerce et des Sociétés. Ce dernier reproche pourrait, dans l’avenir, avoir des conséquences néfastes pour eBay, dans la mesure où des acheteurs pourraient revendiquer le bénéfice du droit de la consommation pour les ventes conclues avec des professionnels, et reprocher par la suite à eBay de ne pas avoir respecté cette obligation de vérification.
Dans les affaires Christian Dior Couture et Louis Vuitton Malletier, les juges ont souligné qu’eBay aurait du mettre en place des mesures efficaces contre la contrefaçon, telles que i) l’obligation pour les vendeurs de fournir, sur simple demande, la facture d’achat ou un certificat d’authenticité des produits mis en vente, ii) la fermeture immédiate et définitive du compte de tout vendeur impliqué dans une activité illégale, ou iii) le retrait immédiat des annonces illicites signalées par les demanderesses. Les juges ont également ajouté que les annonces portant sur des produits contrefaisants étaient facilement identifiables, soit par les mentions « faux » ou « imitation » souvent apparentes, soit par le faible prix des produits.
Les juges en ont conclu qu’eBay était responsable de l’exploitation fautive des droits des requérants et du préjudice causé à leur image. De façon intéressante, les dommages et intérêts alloués sont des redevances indemnitaires calculées sur la base d’un pourcentage des commissions perçues par eBay sur les ventes. Ce type de sanction pécuniaire est inhabituel car en droit français, l’indemnité ne peut excéder le préjudice réellement subi qui est, dans la plupart des cas, limité à la perte de revenus et à la dépréciation des investissements. Le concept de redevance indemnitaire a été introduit en France par la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 transposant la Directive 2004-48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.
Au final, les juges ont enjoint eBay de cesser, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard, la diffusion d’annonces portant sur les produits de parfumerie et de cosmétique fabriqués par les demandeurs.
Bien qu’eBay ait immédiatement fait appel, ces jugements peuvent être perçus comme une incitation à poursuivre cet intermédiaire de vente pour obtenir une indemnisation.