Par trois décisions rendues en formation plénière le 13 juillet dernier (Conseil d’Etat, 13 juillet 2021, n°535452, n°428506 et n°437498), le Conseil d’Etat clarifie le traitement fiscal des gains résultant de l’attribution de bons de souscription d’actions (« BSA ») ou d’options d’achat d’actions. Si les précisions apportées s’inscrivent dans le courant jurisprudentiel récent en la matière, elles laissent subsister des incertitudes quant à leur application et leur portée.
La distinction des gains résultant de l’attribution des BSA et options d’achat d’actions : une imposition séquencée
Retour sur les faits – les faits de ces trois espèces sont, en résumé, les suivants : un schéma classique de LBO avait été mis en place dans la première de ces affaires (n°435452) au terme duquel un dirigeant avait acquis des BSA d’une holding d’acquisition, la faculté d’exercice de ces derniers dépendant notamment de l’atteinte par l’investisseur de seuils minimaux de performance financière au terme de l’opération. Dans la deuxième affaire (n°428506), une opération de LBO était également en cause mais cette fois, l’investisseur avait consenti une option d’achat d’actions au dirigeant du groupe concerné moyennant une indemnité d’immobilisation. Enfin, dans la dernière de ces affaires (n°437498), une société avait octroyé des BSA à l’un de ses dirigeants salariés, des promesses croisées de vente et d’achat ayant été conclues entre ce dernier et une des sociétés du groupe. L’administration fiscale avait, dans les trois cas, requalifié en traitements et salaires les gains réalisés à l’occasion de la cession des BSA ou des actions issues des options d’achat.
Trois gains potentiellement taxables et trois faits générateurs distincts – Un des apports majeurs des arrêts précités réside dans la clarification des étapes d’imposition des gains réalisés. Suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’Etat précise qu’il convient de distinguer trois gains soumis à une temporalité différente :
– le gain d’acquisition / de souscription du BSA ou de l’option d’achat, égal à la différence entre leur valeur réelle et le prix « préférentiel » offert au manager, imposable au titre de l’année d’achat ou de souscription de l’instrument concerné ;
– le gain d’exercice du BSA ou de levée de l’option, qui est égal à la différence entre la valeur réelle de l’action au jour de l’exercice /levée et le prix d’exercice / d’acquisition de cette action majoré du prix d’acquisition / souscription du BSA ou de l’option et de l’avantage préférentiel consenti lors de l’acquisition de l’instrument, imposable au titre de l’année d’exercice du bon ou de levée de l’option ; et
– le gain de cession du BSA non exercé ou de l’action sous-jacente, égal, dans le premier cas, à la différence entre son prix de cession et son prix d’acquisition / souscription majoré de « l’avantage préférentiel », et, dans le second cas, à la différence entre le prix de cession de l’action et sa valeur réelle à la date de son acquisition, imposable au titre de l’année de cession.
« Un gain qui trouve essentiellement sa source dans les fonctions salariale ou de direction » : le critère prépondérant de qualification fiscale
Les fonctions de direction ou salariales déterminantes – Dans les trois espèces analysées, le Conseil d’Etat érige en tant que critère prédominant l’origine du gain pour déterminer son régime d’imposition. Dès lors que l’un des trois gains précités (gain d’acquisition / gain d’exercice ou de levée / gain de cession) trouve essentiellement sa source dans l’exercice de fonctions de direction ou salariales dont il est la contrepartie, ce gain doit être imposable dans la catégorie des traitements et salaires.
Néanmoins, s’agissant du gain de cession d’un BSA ou d’une option, le Conseil d’Etat prend soin de préciser qu’il reste, par principe, imposable suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières. Il ajoute par ailleurs que le caractère préférentiel du prix d’acquisition du bon ou de l’option n’a aucune incidence sur la nature des gains réalisés lors de leur exercice, leur cession ou la cession des actions sous-jacentes.
Un critère unique ? – Ce critère tenant aux fonctions du titulaire de l’instrument dans la société, déjà utilisé par la jurisprudence administrative et civile par le passé pour déterminer la nature des gains, deviendrait ainsi le seul critère à prendre en considération pour déterminer le régime fiscal applicable. La qualité d’investisseur et la prise de risque associée à la possibilité de réalisation d’une perte financière par le dirigeant ou salarié ne constitueraient plus des critères déterminants pour qualifier et imposer le gain en tant que plus-value de cession de valeurs mobilières.
Incertitudes persistantes
Des questions en suspens – En se référant au terme « essentiellement » sans le définir ou le préciser, le Conseil d’Etat laisse à l’administration fiscale une large marge d’appréciation des situations dans lesquelles le gain réalisé par le manager pourra être requalifié en salaire. Des interrogations demeurent également quant à la discordance relative au fait générateur d’imposition du gain d’acquisition / de souscription du BSA ou de l’option par rapport à celui retenu en matière sociale : le Conseil d’Etat précise que ce gain est imposé au titre de l’année de ladite acquisition / souscription tandis que les juridictions de l’ordre judiciaire soumettent l’avantage aux cotisations sociales au titre de l’exercice au cours duquel le salarié / dirigeant a eu la libre disposition des bons (ce qui permettrait de reporter le versement des cotisations sociales à une date ultérieure à la souscription des bons). La portée de ces décisions n’est pas non plus dessinée : les faits jugés n’ayant trait qu’à des BSA et options d’achat d’actions, l’administration fiscale et le juge de l’impôt iront-ils jusqu’à l’étendre à d’autres instruments ?
Véritable étanchéité des gains ou simple leurre ? – Alors même que le Conseil d’Etat rappelle que le prix préférentiel est sans incidence sur la nature du gain réalisé ultérieurement au moment de la cession des actions ou de l’exercice des bons ou options, les cas dans lesquels une première qualification ne commandera pas la suivante sont difficiles à envisager. L’administration fiscale aura beau jeu de démontrer que lorsque le gain d’acquisition du BSA relève d’un avantage octroyé à un manager du seul fait de sa qualité de salarié et doit dès lors être imposable dans la catégorie des traitements et salaires, le gain issu de l’exercice de ce bon doit l’être tout autant. D’autant que dans le cas où la cession de l’action issue d’un BSA est réalisée alors que sa valeur n’a pas augmenté depuis l’exercice du bon, le Conseil d’Etat indique que l’intégralité du gain de cession doit être soumis à l’impôt en tant que traitements et salaires.
Et maintenant ?
Une intervention législative nécessaire – Outre les décisions des cours d’appel qui sont désormais attendues pour espérer obtenir des éclaircissements, une intervention du législateur semble indispensable. En l’état de la jurisprudence, le salarié ou dirigeant sera tenu d’acquitter l’impôt sur le revenu sur le gain d’acquisition / de souscription du BSA ou de l’option alors qu’il ne dispose d’aucune liquidité dans le cadre de l’opération d’acquisition / souscription, voire que l’exercice du bon ou la levée de l’option n’intervienne jamais au regard de la valeur réelle de l’action au jour de l’exercice / levée. Dans ce cadre, le législateur pourrait envisager de créer une disposition permettant le report d’imposition du gain issu de cette acquisition / souscription au moment de la cession du bon, de l’option ou des actions qui en résultent, mécanisme qui serait aligné sur celui des stocks options ou attributions gratuites d’actions.
De manière plus générale, le législateur devra envisager des solutions pour continuer à intéresser les managers sur le plan fiscal en passant éventuellement par un assouplissement des conditions d’ouverture des autres outils connus de ces derniers, en particulier les bons de souscriptions de parts de créateurs d’entreprise ou les attributions gratuites d’actions.
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