Actualités jurisprudentielles en matière de domanialité publique et de commande publique

1. Domanialité publique et régime de la copropriété

 

Les biens du domaine public sont ceux appartenant à une personne publique et « qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public »[1]. Ces biens sont inaliénables et imprescriptibles[2].

Par une décision du 7 octobre 2024, le Tribunal des Conflits a confirmé que le régime de la domanialité publique ne s’applique pas dans le cadre de la copropriété.

Cette solution vient confirmer la jurisprudence du Conseil d’Etat[3], selon lequel un bien ne peut relever du domaine public que s’il appartient « dans sa totalité » à la personne publique[4]. A cet égard, un rapporteur public rappelait plus récemment le « caractère exclusif de la propriété du domaine public »[5]. A défaut de propriété exclusive, le propriétaire public ne peut exercer seul l’ensemble des attributs du droit de propriété.

C’est la raison pour laquelle le juge administratif considère que, lorsqu’une personne publique acquiert des actifs immobiliers en copropriété ou en indivision, le régime de la domanialité publique ne trouve pas à s’appliquer. En effet, il peut être considéré que « à partir du moment où une administration accepte de s’installer dans un immeuble en copropriété, elle accepte de renoncer aux règles protectrices de la domanialité publique »[6].

Reprenant la solution dégagée par le Conseil d’Etat et confirmée par le Cour de cassation[7], le Tribunal des Conflits a ainsi estimé que « les règles essentielles du régime de la copropriété telles qu’elles sont fixées par la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 (…) sont incompatibles tant avec le régime de la domanialité publique qu’avec les caractères des ouvrages publics ». En effet, ces règles ne peuvent pas être conciliables avec la domanialité publique puisqu’elles prévoient notamment « la propriété indivise des parties communes, (…) la mitoyenneté présumée des cloisons et des murs séparant les parties privatives, l’interdiction faite aux copropriétaires de s’opposer à l’exécution, même à l’intérieur de leurs parties privatives de certains travaux décidés par l’assemblée générale des copropriétaires se prononçant à la majorité, la garantie des créances du syndicat des copropriétaires à l’encontre d’un copropriétaire pas une hypothèque légale sur son lot ».

En conséquence, des biens appartenant à une personne publique dans un immeuble soumis au régime de la copropriété n’appartiennent pas au domaine public et ne peuvent être regardés comme constituant un ouvrage public, même si ces biens sont affectés au besoin du service public ou à l’usage du public.

Le Tribunal des Conflits a également précisé que, « les dommages qui trouveraient leur source dans l’aménagement ou l’entretien de ces locaux ne sont pas des dommages de travaux publics ». Le juge administratif n’est donc pas compétent pour connaître de l’action en responsabilité de la personne publique du fait des désordres causés par ces biens.

Dans ces conditions, il appartient au juge judiciaire de connaître des dommages trouvant leur source dans l’aménagement ou l’entretien de biens appartenant à une personne publique situés dans un immeuble soumis au régime de la copropriété.

TC, 7 octobre 2024, Syndicat des copropriétaires de la résidence Saint Georges Astorg c/ Assistance Diagnostics Services et autres, n° C4319

 

[1] Article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publique.
[2] Article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publique.
[3] CE, sect., 11 février 1994, Compagnie d’assurances Préservatrice Foncière.
[4] CE, sect., 19 mars 1965, Société lyonnaise des eaux et de l’éclairage, n° 59061.
[5] Concl. L. Cytermann sur CE, 7 novembre 2019, Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, n° 431146.
[6] Concl. H. Toutée sur CE, sect., 11 février 1994, préc.
[7] Cass. Civ., 1ère, 25 février 2009, Commune de Sospel, n° 07-15.772.

 

2. Retrait d’un membre du groupement momentané d’entreprises au cours de la procédure de passation d’un marché

 

Par un arrêt du 26 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé qu’une réglementation nationale ne peut pas interdire à un opérateur économique de se retirer d’un groupement momentané d’entreprises (GME) lorsque la durée de validité des offres arrive à échéance et que le pouvoir adjudicateur souhaite la prolonger.

Si cet arrêt a été rendu en application de l’ancienne directive « marchés »[1], la solution est tout à fait transposable dans le cadre de la nouvelle directive[2].

La directive « marchés » (aussi bien l’ancienne que la nouvelle) permet à plusieurs entreprises de répondre à un appel d’offres en constituant un GME pour satisfaire aux exigences minimales de capacités fixées par l’acheteur. En droit français, cette faculté figure aux articles R. 2142-19 et suivants du code de la commande publique pour les marchés publics et aux articles R. 3123-9 et suivants pour les concessions.

La directive « marchés » ne fixe toutefois pas de règle concernant spécifiquement les modifications de la composition d’un GME soumissionnaire. Ainsi, selon la CJUE, « la règlementation d’une telle situation relève de la compétence des Etats membres ».

En l’espèce, le litige portait sur la règlementation italienne interdisant toute modification affectant la composition initiale d’un GME soumissionnaire, sous peine d’entraîner l’exclusion de l’ensemble des membres du GME de la procédure de passation. La question de la conformité de cette règlementation au droit de l’Union européenne s’est posée dans le contexte spécifique où le délai de validité des offres était expiré, l’acheteur en sollicitant la prolongation.

La CJUE a estimé que cette règlementation est contraire tant à la directive « marchés » qu’au principe général de proportionnalité. Selon elle, les membres d’un GME doivent pouvoir se retirer de ce dernier lorsque le délai de validité de l’offre vient à échéance et que l’acheteur sollicite sa prorogation, à la double condition que (i) les membres restants du GME « satisfont aux conditions de participation à la procédure de passation » définies initialement par l’acheteur, et (ii) que la poursuite de la participation du GME ainsi modifié n’a pas pour effet de lui octroyer un avantage concurrentiel au détriment des autres soumissionnaires.

En droit français, l’article R. 2142-26 du code de la commande publique dispose que « la composition du groupement ne peut être modifiée entre la remise des candidatures et la date de signature du marché »[3]. Il est par ailleurs admis que lorsque le délai de validité de l’offre arrive à échéance, celui-ci peut être prolongé à la condition d’obtenir l’accord de l’ensemble des candidats[4].

La conformité de cet article au droit communautaire se pose désormais. Un acheteur ne pourra pas, en application de ces dispositions, exclure la candidature d’un GME dont un ou plusieurs membres se seraient retirés lorsque l’offre du GME serait arrivée à son échéance si les deux conditions présentées supra sont satisfaites. Une exclusion du GME modifié alors même que ces conditions sont réunies pourrait ainsi être sanctionnée dans le cadre d’un référé précontractuel.

La solution de la CJUE manifeste ainsi un certain pragmatisme en reconnaissant le droit de modifier la composition d’un GME en cours de procédure sous certaines conditions. La portée de la solution est toutefois restreinte à une situation très spécifique, à savoir celle d’une modification du GME consécutive à l’expiration du délai de validité des offres.

CJUE, 26 septembre 2024, Luxone Srl, aff. C-403/23.

 

[1] Directive 2004/18/CE.
[2] Directive 2014/24/UE.
[3] L’interdiction de modifier la composition d’un GME en cours de passation ne s’applique pas aux procédures de passation des contrats de concession (cf. article L. 3123-16 de code de la commande publique).
[4] CE, 10 avril 2015, Centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie, n° 386912.

 

3. Délai de communication des motifs du rejet d’une offre et manquement de l’acheteur

 

Par une décision du 27 septembre 2024, le Conseil d’Etat vient apporter des précisions relatives au délai de communication des motifs du rejet de l’offre d’un candidat évincé.

En application des articles L. 2181-1 et R. 2181-1 du code de la commande publique, l’acheteur est tenu de notifier « sans délai » aux candidats et soumissionnaires évincés que leur candidature ou offre n’a pas été retenue. L’article R. 2181-3 précise que, dans le cadre d’une procédure formalisée, la notification mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l’offre.

Selon le Conseil d’Etat, l’information sur les motifs du rejet a pour objet de permettre au candidat évincé de contester utilement le rejet qui lui est opposé dans le cadre d’un référé précontractuel. En conséquence, la non-communication des motifs du rejet constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence.

Il estime toutefois que cette communication des motifs du rejet peut, sans constituer un manquement, intervenir plusieurs mois après la décision d’attribution du marché (en l’espèce 15 mois), à la condition que ces motifs aient été communiqués au candidat évincé dans un délai suffisant avant la date à laquelle le juge du référé précontractuel statue (« si le délai qui s’est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre [au] candidat de contester utilement son éviction »).

Autrement dit, le non-respect des articles R. 2181-1 et suivants (communication « sans délai » des motifs de rejet) ne constitue pas, à lui seul, un manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence. Encore faut-il que le candidat évincé n’ait pu, à défaut de disposer d’une telle information en temps utile, contester utilement son éviction dans le cadre d’un référé précontractuel.

Cette solution n’incite pas en pratique les acheteurs à communiquer spontanément les motifs de rejet. Elle favorise au contraire l’introduction, par les concurrents évincés, de référés précontractuels afin d’obtenir la communication des informations prévues par les articles R. 2181-1 et suivants du code de la commande publique.

CE, 27 septembre 2024, Région Guadeloupe, n° 490697.

 

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