1 – L’article 242 septies du CGI encadre la profession de monteur en défiscalisation, qui consiste à obtenir des avantages fiscaux pour autrui lors d’investissements productifs en outre-mer. Cet article est issu d’un amendement de la commission des finances de l’Assemblée nationale (AN, amdt n° II-456, 10 nov. 2010), voté et intégré à l’article 101 de la loi de finances pour 2011 (L. n° 2010-1657, 29 déc. 2010, art. 98, 100, 101 et 104 : Dr. fisc. 2011, n° 2, comm. 95. ? V. M. Zuin, Une nouvelle profession réglementée : le monteur en défiscalisation outre-mer : Dr. fisc. 2015, n° 19-20, étude 302.).
Cet amendement a été adopté à la suite d’une mission de contrôle sur l’application de la loi pour le développement économique des outre-mer (L. n° 2009-594, 27 mai 2009 : Dr. fisc. 2009, n° 36, comm. 436 et s.) et a pour but de renforcer la transparence de la défiscalisation des investissements réalisés outre-mer (AN, amdt n° II-456, 10 nov. 2010). Avant cette loi, le métier de professionnel en défiscalisation d’outre-mer souffrait d’un encadrement imprécis.
L’article 242 septies, alinéa 2 du CGI impose l’inscription des professionnels monteurs en défiscalisation sur un registre qui est tenu par le représentant de l’État dans le département de son siège social. L’inscription sur ce registre est conditionnée par la justification de différentes conditions : aptitude professionnelle des dirigeants, acquittement des obligations fiscales et sociales, obtention d’une assurance de responsabilité civile, présentation du bulletin n° 2 du casier judiciaire vierge et fourniture d’une certification annuelle des comptes. Ces professionnels doivent s’engager activement sur la voie de la transparence et de l’éthique : ils sont ainsi astreints à la signature d’une charte de déontologie dont la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite Sapin II, impose désormais le respect (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016, art. 78 : Dr. fisc. 2016, n° 51-52, comm. 665).
2 – Toutefois, la plus grande originalité du dispositif réside dans l’introduction, à l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI, d’une obligation de mise en concurrence des professionnels monteurs en défiscalisation, par les exploitants d’investissement.
Ce texte énonce que « Lorsque le montant de l’investissement dépasse le seuil au-delà duquel l’avantage fiscal est conditionné à l’agrément préalable du ministre chargé du budget, dans les conditions définies aux articles mentionnés au premier alinéa, et qu’il est exploité par une société dont plus de 50 % du capital sont détenus par une ou plusieurs personnes publiques, l’intervention éventuelle des entreprises mentionnées au premier alinéa est subordonnée à leur mise en concurrence, dans des conditions fixées par le décret mentionné à l’avant-dernier alinéa. Cette mise en concurrence conditionne le bénéfice de l’avantage en impôt ».
Si cette procédure de mise en concurrence est inspirée à de nombreux égards du droit de la commande publique, elle conserve ainsi une finalité propre puisqu’elle conditionne, dans l’optique du renforcement de la transparence des opérations de défiscalisation réalisées outre-mer, la validité de l’avantage fiscal octroyé.
1. Le champ d’application de l’article 242 septies, alinéa 11 du CGI
3 – Le dispositif vise à rendre obligatoire une procédure de mise en concurrence pour bénéficier de l’avantage fiscal attaché à certains investissements outre-mer.
4 – L’obligation d’organiser cette procédure de mise en concurrence pèse sur l’es exploitants d’investissement constitués sous la forme de « société dont plus de 50 % du capital sont détenus par une ou plusieurs personnes publiques ».
Le champ d’application du dispositif converge avec celui des textes régissant le droit de la commande publique sans être identique. Ainsi, l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics s’applique bien à des sociétés dont plus de 50 % du capital sont détenus par des personnes publiques mais à la condition soit que ces dernières aient « été créées pour répondre à des besoins d’intérêt général autre qu’industriel et commercial », soit qu’elles exercent une mission d’opérateur de réseaux (Ord. n° 2015-899, 23 juill. 2015, art. 10 et 11).
Or, cette deuxième condition ? liée à l’exigence d’une activité particulière d’intérêt général (réponse à des besoins autres qu’industriels et commerciaux ou activité d’opérateur de réseaux) ? n’est pas reprise par l’article 242 septies, alinéa 11 du CGI de sorte que le champ d’application du texte fiscal se trouve, de ce point de vue, sensiblement plus large.
5 – Le texte peut aussi concerner des sociétés publiques ou d’économie mixte constituées par des collectivités d’outre-mer et qui ne relèvent pas du droit local applicable en matière de commande publique. Il en va ainsi, par exemple, en Polynésie française où seules les personnes morales de droit public (collectivités et établissements publics) sont soumises au droit des marchés publics en application de la loi organique statutaire portant statut d’autonomie de la Polynésie française (L. n° 2004-192, 27 févr. 2004, art. 28 1).
À l’inverse, l’expression précitée « sociétés dont plus de 50 % du capital sont détenus par une ou plusieurs personnes publiques » pourrait conduire à exclure du dispositif des sociétés sur lesquelles les pouvoirs publics exercent un contrôle dominant mais par une voie autre que la détention du capital, voire des entités publiques non constituées sous forme de société (par ex. des associations ou des établissements publics). Il faut toutefois rester prudent sur cette analyse, qui ne reflète pas nécessairement la position qui sera retenue par l’administration fiscale.
6 – Le champ d’application du texte est aussi déterminé en considération du montant d’investissement donnant lieu à l’avantage fiscal, qui doit dépasser le « seuil au-delà duquel l’avantage fiscal est conditionné à l’agrément préalable du ministre chargé du budget ». On devrait comprendre que la procédure s’applique dès lors qu’un agrément est requis : la procédure pourrait ainsi être déclenchée au premier euro pour tout investissement productif en secteur sensible ou pour les entreprises en difficulté., Pplus généralement, elle s’impose au-delà d’un million d’euros. Le dispositif devrait s’appliquer sous ces mêmes conditions en cas d’investissement intermédié. Faute de référence au programme d’investissement, notion centrale pour apprécier le seuil d’agrément, le doute est toutefois permis quant à la prise en compte d’investissements indissociables.
2. La consistance de la mise en concurrence
7 – La mise en concurrence prévue par l’article 242 septies, alinéa 11 du CGI est précisée par un décret du 10 février 2015 (D. n° 2015-149, 10 févr. 2015 : Dr. fisc. 2015, n° 9, act. 107).
L’article 1er du décret (codifié à l’article 171 BL de l’annexe II au CGI) conduit à distinguer deux hypothèses selon que le contrat conclu entre le monteur en défiscalisation et l’exploitant d’investissement est parallèlement soumis ou non à des obligations de mise en concurrence en application du droit de la commande publique.
Dans le premier cas, la mise en concurrence exigée par l’alinéa 11 de l’article 242 septies sera satisfaite pour autant que les règles de mise en concurrence prévues par ailleurs, par les textes relatifs au droit de la commande publique, c’est-à-dire l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (qui a remplacé l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005) ou les textes locaux applicables en matière de commande publique dans les collectivités outre-mer, sont respectées par l’exploitant de l’investissement.
Dans le second cas, le droit de la commande publique n’étant pas applicable, l’exploitant doit lui-même définir les modalités de la mise en concurrence des professionnels monteurs en défiscalisation « dans le respect des principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats » (CGI, ann. II, art. 171 BL, II). Les termes du décret s’inspirent ici très directement des principes généraux de la commande publique (Cons. const., 26 juin 2003, n° 2003-473 DC, loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, JO du 3 juillet 2003).
La valeur constitutionnelle de ces principes leur donne, en effet, une portée très large et les rend applicable « à l’ensemble de l’ordre juridique français, y compris aux situations auxquelles ne s’applique aucune réglementation particulière » (G. Pellissier, conclusions sur CE, 10 juill. 2013, n° 361607, Société Électricité de Tahiti (SET) : JurisData n° 2013-015608 ; JCP A 2014, 2027). La référence à de tels principes peut aussi s’expliquer par la convergence des finalités de l’alinéa 11 de l’article 242 septies et du droit de la commande publique (transparence, efficacité économique, bon emploi des deniers publics, etc.).
Ces principes consistent à faire en sorte que tous les candidats potentiels puissent librement accéder à la consultation par la publication d’un avis d’appel à la concurrence (CE, 7 oct. 2005, n° 278732 , Région Nord-Pas-de-Calais : JurisData n° 2005-068985 ; Lebon, p. 423 ; Contrats-Marchés publ. 2005, étude 17, F. Lichère ; AJDA 2005, p. 2128, note J.-D. Dreyfus), qu’ils soient traités de la même façon (CE, 3 nov. 2014, n° 373362, Cne Belleville-sur-Loire : JurisData n° 2014-026334 ; BJCP 2014, p. 112, concl. G. Pellissier ; AJDA 2015, p. 532, H. Hoepffner), qu’ils reçoivent le même niveau d’information (sans discrimination directe ou indirecte) (CE, 7 nov. 2012, n° 360252, Polynésie française : JurisData n° 2012-025014 ; JCP A 2012, act. 768), et que les règles de la consultation, notamment les critères d’attribution et leurs conditions de mise en œuvre, soient préalablement portées à leur connaissance sans pouvoir évoluer au cours de l’appel d’offres (CE, sect., 30 janv. 2009, n° 290236, ANPE : JurisData n° 2009-074852 ; Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 121, note W. Zimmer ; RD imm. 2009, p. 242, concl. B. Dacosta, et note S. Braconnier ; AJDA 2009, p. 302, note J.-D. Dreyfus).
En application de ces principes, le décret prévoit explicitement une publication de l’avis d’appel public à la concurrence au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (caractéristiques essentielles du contrat, date limite de dépôt des candidatures) ainsi que la mise en place de « critères objectifs et non discriminatoires ». Pour les collectivités qui disposent d’un Bulletin officiel propre, le strict respect de l’obligation légale contraindrait à effectuer une double publication.
Le décret instaure enfin une règle d’infructuosité (inspirée là encore du droit des marchés publics) selon laquelle si aucune offre n’a été déposée, l’exploitant d’investissement peut procéder à une négociation de gré à gré avec le monteur en défiscalisation de son choix à condition de ne pas modifier substantiellement les caractéristiques initiales de la consultation (V. D. Soland et G. Barnier, Le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif au marché public : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 102).
3. Conséquences de l’absence de mise en concurrence (ou de son irrégularité)
8 – La principale conséquence attachée au non-respect de la mise en concurrence prévue par l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI est la remise en cause de l’avantage en impôt (« cette mise en concurrence conditionne le bénéfice de l’avantage en impôt »).
Or, dans le cadre de l’instruction de la demande d’agrément auprès du ministre du Budget, l’administration fiscale doit, entre autres, vérifier que l’investissement « garantit la protection des investisseurs et des tiers » (CGI, art. 217 undecies, III). La pratique actuelle de l’Administration consiste à conditionner, à ce titre, la délivrance de l’agrément à la preuve de la mise en concurrence prévue à l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI.
Cette vérification demeure cependant formelle et il ne peut être exclu que, postérieurement à la délivrance de l’agrément, de nouveaux éléments puissent être portés à sa connaissance de nature à mettre en cause la régularité de la mise en concurrence et, partant, l’avantage en impôt.
9 – Outre la remise en cause de l’avantage fiscal, le non-respect de la procédure de mise en concurrence peut conduire à la remise en cause du contrat conclu entre le monteur en défiscalisation et l’exploitant sur le fondement de l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI. Cela sera le cas, non seulement si cette procédure est menée en application du droit de la commande publique (selon les règles de procédure contentieuses propres à ce droit), mais aussi si celle-ci est menée selon les règles spécifiquement décrites par le décret du 10 février 2015 (pour les situations ne relevant pas du champ du droit de la commande publique). En ce sens, l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI indique en effet que « l’intervention éventuelle des entreprises mentionnées au premier alinéa est subordonnée à leur mise en concurrence » (nous soulignons).
Avant l’adoption du décret du 10 février 2015, la Cour de cassation a déjà été saisie, à l’occasion de deux recours en référé, en vue d’annuler une procédure menée sur le fondement de l’article 242 septies du CGI, mais n’a pas statué sur le fond de l’affaire (Cass. com., 25 juin 2013, n° 12-21.335 : JurisData n° 2013-013249. – Cass. com., 23 oct. 2012, n° 11-23.376, Mecasonic : JurisData n° 2012-023965). Les deux recours avaient été engagés en application des textes de procédure contentieuse propres au droit de la commande publique (CPC, art. 1441-1).
Même si la Cour de cassation ne l’a pas explicitement tranché, il est toutefois incertain que ces textes puissent s’appliquer lorsque la procédure est menée selon les règles spécifiquement décrites par le décret du 10 février 2015 (hors du champ du droit de la commande publique). On peut aussi s’interroger sur le point de savoir si cette dernière situation est de nature à entrer dans le champ d’application du délit de favoritisme (C. pén., art. L. 432 14).
En tout état de cause, que ce soit sur le fondement des procédures propres au droit de la commande publique ou sur le fondement des procédures civiles de droit commun, l’absence de mise en concurrence sur le fondement de l’alinéa 11 de l’article 242 septies du CGI (ou l’irrégularité de celle-ci) devrait fragiliser la validité du contrat conclu entre l’exploitant et le monteur en défiscalisation, jusqu’à encourir son annulation.
À ce titre, l’existence d’éventuelles situations de conflit d’intérêts entre le monteur et l’exploitant d’investissement, dans la mesure où elle peut conduire à agir sur la base de considérations étrangères aux règles d’appel d’offres, peut par exemple rendre irrégulière la procédure d’appel d’offres. Selon nous, l’avantage fiscal et le contrat ne pourront cependant être remis en cause que dans les situations où, comme en droit commun, la personne « conflictée » a été effectivement en mesure d’influencer concrètement la procédure (V., par analogie avec le droit des marchés publics, CE, 14 oct. 2015, n° 390968, Région Nord-Pas-de-Calais : JurisData n° 2015-022864 ; AJDA 2015, p. 1955 ; Contrats-Marchés publ. 2015, comm. 279, note G. Eckert).
Ces situations de conflit constituent par ailleurs un épouvantail que le pouvoir réglementaire a souhaité agiter dans la charte de déontologie des monteurs en défiscalisation qui prohibe les situations de conflits d’intérêts et dont le non-respect peut entraîner l’application d’une amende à la charge des monteurs, égale à 50 % du montant des avantages fiscaux obtenus dans le cadre d’une opération (CGI, art. 1740-00 AB).
Le texte de l’article 242 septies du CGI illustre ainsi la vigilance accrue que les pouvoirs publics entendent exercer sur les activités entourant les opérations de défiscalisation. L’intention de moralisation est louable et préfigure sans doute une tendance. Pour autant, la création de ce texte inspiré du droit des marchés publics né hors sol sur le terrain du CGI rend en pratique son appréciation incertaine